Qu’il y a-t-il de commun entre l’incendie du Reichstag en 1933 et l’enregistrement du chant des oiseaux sauvages dans les non moins sauvages îles britanniques ? Et bien Anthea Kennedy et Ian Wiblin nous l’apprennent par un film passionnant, historique, poétique, familial. C’est l’histoire d’un Juif allemand, méconnu des profanes, mélomane, chanteur d’opéra, pionnier de la prise de son, inventeur du livre sonore : Ludwig Koch. La co-réalisatrice en est la petite fille. Elle hérite de ses enregistrements et se sent obligée d’en faire « quelque chose ». De rendre compte de l’extraordinaire destin d’exilé de ce « non-arien ». En 1928, il vit à Berlin avec sa femme et ses enfants. Travaille dans l’entreprise de gramophones Carl Lindström. Il est à la tête d’une branche culturelle de cette industrie, et continue à recueillir les sons animaux et humains.
Dans la nuit du 27 au 28 février, un incendie criminel ravage le siège du Parlement. Les Nazis accusent les Communistes et finissent de brûler la démocratie par des milliers d’arrestations arbitraires et de jugements partisans. Kock louait une chambre de sa maison à un certain Monsieur Steiner qui se trouve être Geogi Dimitrov, cadre du Komintern accusé de complicité dans l’incendie. Kock, sa famille, seront interrogés par la commission d’enquête créée à l’occasion. Puis incriminés, contraints à l’exil après une tentative de suicide.
La première partie du film va raconter avec précision l’enchaînement des événements, l’investigation policière et la mécanique de la terreur mise en place par le régime d’Hitler. Un récit en voix off à la deuxième personne tandis qu’à l’écran apparaissent les lieux parfois disparus de cette histoire, cartographiée dans un Berlin ou un Leipzig, contemporains. S’afficheront aussi les reproductions des dépositions dactylographiées, des photos en noir et blanc, des objets retrouvés dans les musées. Reconstitution chronologique des faits, rythmée par les enregistrements de Kock, animaux, bruits urbains. Le passé hors champ se tient tout entier dans la voix narrative et le son.
L’exil anglais
La deuxième partie sera anglaise, toute de paysages et de cris d’oiseaux. Koch s’est réfugié à Londres où il travaille pour la BBC. Aux documents de police se substituent les pages manuscrites aux caractères déliés, aériens, de l’ornithologue-preneur de son. La narratrice poursuit son récit sur le même mode, évoque le camp où se retrouvent les apatrides après la déclaration de guerre, les difficultés de son grand père pour travailler et sa passion opiniâtre qui lui fait transporter sur des kilomètres de lochs, de landes et de forêt, un matériel lourd et volumineux. Peu à peu, la nature prend toute l’image. La présence humaine s’efface. Une foule de cygnes blancs au long cou coudé, bec orangé et masque noir, envahit l’écran. On traque le cri d’un héron, d’un courlis et on entend la naissance d’un Chevalier aboyeur. Ces oiseaux seront très équitablement cités au générique de fin comme des acteurs. Car on n’est pas dans un documentaire animalier. Loin s’en faut. Les animaux enregistrés par Koch sont morts depuis longtemps, comme lui. Ils sont ceux qu’on entend mais pas ceux qu’on voit. Par son montage savant et son subtil traitement des archives visuelles et sonores, le film rend présente l’absence, donne vie aux fantômes. Ce qui est sans doute une des missions du cinéma.
ELISE PADOVANI
Le FID MARSEILLE 36 : du 8 au 13 juillet 2025.