Transformer le plomb en or
Depuis 2016, La Friche de l’Escalette, en partenariat avec la Galerie54/Eric Touchaleaume, s’ouvre l’été et tous les week-ends de septembre et octobre au public. Une exposition de sculptures et d’installations « sélectionnées pour leur sensibilité relationnelle avec l’architecture, la nature ou le site ». Certaines vont demeurer et constituer au fil des années, un parcours permanent.
Dans cette ancienne usine de plomb, nichée à l’orée du parc national des Calanques, s’affirme la volonté de conserver la dimension poétique du lieu, de ne pas reconstruire, de respecter les prétentions fougueuses de la végétation, d’entretenir une certaine philosophie du cabanon, sous les figures tutélaires du Corbusier et de Prouvé. Nomadisme, écologie, impact symbolique… à l’horizon se profile un concours international, ouvert aux artistes, architectes, designers, sur le thème de la cabane. Chaque exposition est une étape dans ce processus alchimique, qui symboliquement change le plomb ancien en or nouveau.
Un itinéraire sensible
Planté face à l’entrée du site, sur la large dalle au milieu des pavillons Prouvé, L’œil du chat ou Le guetteur de Marjolaine Dégremont accueille les visiteurs : vous n’êtes pas seuls…
L’été de la forêt de François Stahly, est la première œuvre proposée par la médiation, au début d’un passage escarpé et caillouteux presque sportif. Cet ensemble de totems en bois brûlé – une provocation, une prémonition ? – initie le parcours en pleine pinède. Les coiffes de plomb (on ne parlera pas de chape), bienvenues et logiques sur le site – c’est ce qu’on y fabriquait –, protègent l’œuvre des infiltrations.
L’exposition déroule les oxymores. Les provocations s’enchaînent dès le début du parcours : après les totems que le public local peut interpréter comme des squelettes dé-branchés de pins incendiés, une cabane perchée mais enfouie de Marjolaine Dégremont se déploie vers le ciel ouvert d’une fosse aussi blanche qu’elle, sans parvenir à s’envoler, pour le plus grand plaisir des visiteurs.
Plus loin, émergeant de la pinède pommelée, des alignements de monolithes maçonnés de l’ancien complexe industriel ne soutiennent plus rien. Il faut en franchir plusieurs avant de découvrir un origami de tôles Corten sous les briques et les pierres d’une enfilade de voûtes : La Gardienne de Pierre Tual. On retrouve d’autres œuvres de cet artiste, accrochées sur une immense paroi qui fend les vagues moutonnées du paysage. Partout dans le parcours paysagé entre ruines et végétation, l’impression domine que l’installation des œuvres est plus envisagée comme un rapport de forces qu’une simple exposition au meilleur endroit, sous la meilleure lumière, pour la découverte et la lecture des œuvres : c’est une dispute plus qu’un dialogue.
Paroi ondulante
Accroché sur une autre vertigineuse et intraduisible paroi de pierre, un fragile et discret triangle de plomb, signé Vincent Scali, de la série des Fragments, aux pointes disparues, arrachées : la suspension est définitive et l’œuvre se découvre entre les ombres portées des pins qui ont gagné la bataille de la lumière.
Dans un espace muséal clos d’imposantes parois de pierres, plusieurs œuvres sont exposées. Celles des jeunes complices artistes-designers, Baptiste & Jaïna, qui travaillent la terre dans toutes ses couleurs et toutes ses phases de cuisson pour obtenir des formes molles mais des objets durs et mystérieux, dont certains ne refusent pas d’être « fonctionnels » tels un cintre-patère (Dorsale), un Tabouret assise tracteur… Résultat, la matière brute, patiemment poncée, offre une surface dont la douceur appelle la caresse. Brancusi n’est pas loin. Comme partout sur le site, mais avec plus de raffinement et de nuance, la démarche s’exprime ici par le conflit : le mou des formes et le dur mais parfois doux et lisse du toucher. Les tabourets en grès dialoguent avec la paroi ondulante et filtrante d’Héloïse Bariol, composée de claustras de terre cuite qui donnent son nom à l’œuvre (Claustra, exposition permanente).
Dans la même enveloppe de maçonnerie, les cabanes de Marjolaine Dégremont, de plâtres et de buis, sont fragiles, aléatoires, impensées, rêveuses. Quelques blocs de béton blessé déjà là, peints en blancs, structurent autant l’espace que les cabanes flottantes. Comme celle découverte plus tôt en plongée dans le parcours, les cabanes, ici en contre-plongée, semblent vouloir s’échapper. Leurs puissantes racines de buis obtiennent cependant le gain du rapport de forces (encore !), les rattachant impitoyablement au sol, empêchant leur envol ou leur dissolution. Des jardins minuscules se sont installés sans autorisation au pied des cabanes, un contrepoint vert, involontaire et bienvenu à la brique du site redéployée en cairns nains et au blanc neutralisant des cabanes. D’autres œuvres de François Stahly, Guy Bareff, Gérard Traquandi (exposition permanente) toutes aussi puissantes, minérales ou métalliques, côtoient les pièces récemment installées.
Dans le pavillon « Prouvé 6×9 », La bête endormie de Lilian Daubisse laisse peu de place au visiteur. Les milliers de brins de cartons tissés qui la hérissent s’étalent sur une composition de tables à hauteur d’auscultation.
Le parcours s’achève avec la visite d’un autre pavillon Prouvé, dit « Bungalow du Cameroun », savante recherche sur la lumière, la ventilation, le confort. Ce pavillon est la recomposition d’un prototype de 1958, assez largement modifié (adapté ?) et augmenté de modules internes et de mobilier de Jean Prouvé, Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret.
MAURICE ET ÉLISE PADOVANI
La Friche de l’Escalette, Marseille Expositions ouvertes les week-ends de septembre et d’octobre friche-escalette.com