Taras (Roman Lutskyi) et Olya (Ira Nirsha) s’installent dans leur nouvel appartement. Encore encombré de cartons. Ils sont jeunes, beaux, intelligents, choisissent la couleur des peintures, l’emplacement des meubles et font l’amour. Olya prépare une exposition de sculptures en céramique blanche, à Vienne. Tarzan a trouvé Jane et l’avenir leur semble ouvert et radieux. Sauf qu’on est dans une petite ville près de Kiev en 2022, que les rumeurs d’une invasion russe s’immiscent dans ce bonheur-là : la propagande de Poutine revisite l’histoire, attribue à Lénine l’invention de l’Ukraine, justifie par avance « l’opération spéciale ». Pour la crémaillère, les amis du couple citent Derrida, s’interrogent sur lafonction du cinéma et sur l’opportunité de fuir.
Le 24 février, il est trop tard. Les chars sont entrés dans la ville. L’armée russe investit l’immeuble de Taras et Olya. Les jeunes Ukrainiens ne quitteront plus leur appartement devenu cache et prison. Leur lune de miel tourne à une longue nuit cauchemardesque.
Pendant une semaine, on vivra avec eux ce confinement, sans eau, sans électricité, sans internet, dans le silence, sous la menace constante d’être découverts. Un huis clos étouffant où chaque geste peut trahir leur présence et se révéler fatal.
Pour ne pas se faire repérer, Taras et Olya se déplacent à quatre pattes, rampent, dans la pénombre de leur logis. Pour ne pas craquer ils s’inventent des jeux, se serrent fort. Temps contraint qui éprouve les nerfs et les convictions. Les priorités matérielles et artistiques ne sont plus si importantes devant la mort.
La guerre sans visage
Taras, moitié russe par son père pro-poutine, s’invente sans héroïsme des arguments pour amadouer les soldats s’il était arrêté. De ce qui se passe dehors, on ne verra rien. Comme eux, en totale empathie, on entendra les explosions, les sirènes, les exécutions de civils, les viols derrière la cloison. On partagera leur peur.
Le hors champ s’imagine et les ennemis n’ont ni visage ni humanité. Le film s’apparente aux films d’horreur : les protagonistes se trouvent encerclés par des zombies menaçants. Il partage son titre d’ailleurs avec un film de ce genre réalisé par Leigh Janiak en 2014.
Production modeste, le premier long métrage de Zhanna Ozirna, tourné en Ukraine est une fiction, inspirée de faits réels. Les festivals internationaux saturés de documentaires sur cette guerre, offrent moins d’espace au cinéma de son pays, dit la réalisatrice. Pourtant, il est plus que jamais nécessaire aux Ukrainiens, d’affirmer leur désir d’exister, de se projeter dans l’avenir, de faire des enfants… et des films.
ELISE PADOVANI
Honeymoon de Zhanna Ozirna
Sélectionné à la Mostra de Venise
Atlas d’or au festival d’Arras
En salles le 1er Octobre