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Illégal et dangereux pour la République

Le parc de loisir Rocher Mistral est le sujet de contestations et de procédures judiciaires depuis l’acquisition du Château de la Barben par Vianney d’Alençon. Entretien avec Xavier Daumalin, historien, sur ses impacts environnementaux et culturels

Zébuline. Pourquoi vous opposez-vous au Rocher Mistral ? Qu’est-ce qui pose problème dans cette entreprise ? 

Xavier Daumalin. Les problèmes sont multiples, et de plusieurs dimensions. D’abord, le Rocher Mistral a été conçu sans les autorisations nécessaires, et ne respecte aucune des lois de l’urbanisme et du patrimoine. Les infrastructures et les aménagements ont été construits sans l’accord des services de l’Etat, en particulier à l’extérieur du château. Le parking est illégal, les arbres classés, centenaires, sont entaillés pour servir de support à des équipements, des projecteurs… tout cela sans autorisation. Une colonie de chauve-souris a été délogée, et Natura 2000 dénonce depuis le début la destruction de cette espèce protégée. Au niveau écologique et environnemental, mais aussi au niveau de ce que l’on peut construire autour et dans un bâtiment classé, rien n’a été fait dans les règles. 

Et où en est-on au niveau juridique sur ces points de légalité ? 

Le 13 février 2024 le Rocher Mistral a été condamné en première instance à remettre en état les infrastructures autour du château. Les jardins, le parking, les séquoias. Dans un délai de 9 mois. Et à verser des dommages et intérêts de 90 000 euros à la commune et à France Nature Environnement [FNE, fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement, ndlr]. Bien sûr, ils ont fait appel. Appel suspensif, donc rien n’a été fait. En attendant les résultats, ils continuent d’exploiter illégalement le site et d’accueillir des touristes sans qu’aucune des autorisations nécessaires n’ait été délivrée. 

Qui sont les opposants au projet ?  

Là aussi, ils sont multiples. Ce sont d’abord les riverains, les habitants de La Barben qui se sont constitués en association, « Vivre à la Barben », soutenue par le maire. Ils se plaignent bien sûr des nuisances sonores, parce que le Rocher Mistral, ce sont des spectacles bruyants jusqu’à 22h30 au moins tous les jours, dans des jardins qui jouxtent les habitations. Cela pose aussi des problèmes de stationnement et d’embouteillages monstrueux parfois, même si fort heureusement, la fréquentation n’étant pas au rendez-vous, c’est actuellement moins difficile que ça ne pourrait l’être. Au-delà des habitants, la FNE et Extinction Rebellion s’opposent au projet pour des raisons environnementales, et Ethicpol l’accuse de détournement de fonds publics. 

À quel titre ? 

Le Rocher Mistral a reçu plus de 6 millions d’euros d’argent public, du Département 13, de la Métropole Aix Marseille Provence et de la Région Sud. Recevoir des subventions pour un projet qui n’a pas reçu les autorisations nécessaires d’exploitation peut s’apparenter, pour Ethicpol, à du détournement d’argent public. 

Vianney d’Alançon, propriétaire du Château, n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Pourquoi cette confiance des institutions selon vous ? 

Effectivement, l’ancien préfet de la Haute-Loire, Yves Rousset, vient de publier un livre sur l’histoire du Château Saint-Vidal, où il a déployé la même stratégie, c’est à dire ouvrir un site sans les autorisations nécessaires, et en l’occurrence s’appliquer le label d’Etat, « Jardin remarquable »  sans l’avoir obtenu. Mais là Laurent Wauquier après avoir soutenu Vianney d’Alançon est entré en conflit avec lui, et il n’a pas eu le soutien du préfet. Alors que le préfet des Bouches-du-Rhône a voulu aller à l’encontre des arrêtés municipaux qui interdisait l’accès au parking. 

Pourquoi ce soutien du préfet, qui a été désavoué par le Conseil d’État ?

Oui, il est très surprenant que Christophe Mirmand, le préfet, ait remis en cause les décisions du maire et du tribunal administratif, et le Conseil d’Etat a mis un coup d’arrêt aux demandes d’aménagements supplémentaires, allant à l’encontre du préfet. Les raisons de ce soutien, je ne peux que les supputer. Le projet a été monté et financé par le groupe Médias Participations de Vincent Montagne, la famille Dassault, Michelin, la famille Deniau… il a des appuis puissants dans les médias et l’industrie, et mène une véritable entreprise politique.

C’est-à-dire ?

Ce qu’il fait au niveau historique, culturel, n’est pas illégal contrairement aux problèmes administratifs et environnementaux. Mais c’est dangereux pour la République, surtout dans l’état actuel de la vie politique. Ses spectacles qu’il dit historiques sont élaborés sans historiens. Il combat l’histoire universitaire, qui est disqualifiée à ses yeux parce qu’elle réfléchit, critique et surtout inclut sans figer une identité nationale. Vianney-Marie Audemard d’Alançon, nom d’usage Vianney d’Alançon, défend une histoire édificatrice, identitaire, enracinée, une histoire fantasmée de la France et de la Provence. Et oui, c’est dangereux pour la République, on l’a vu avec Zemmour, les historiens se sont élevés contre son utilisation de l’histoire dévoyée à des fins politiques nationalistes. 

Comment dévoie-t-on l’Histoire ? 

L’Histoire de notre nation est une histoire plurielle, et nous devons l’écrire afin que chacune des personnes qui vit dans cette nation s’y retrouve, y soit inclus. Ne pas privilégier une croyance, une provenance, une religion, une classe sociale qui serait l’essence de la France. Il est difficile de combattre ces visions, celle du Puy du Fou ou du Rocher Mistral, parce qu’elles emploient la méthode du divertissement et qu’elles traitent les citoyens en spectateurs, par l’émotion.

Pouvez-vous nous donner des exemples de ces dévoiements de l’histoire à l’œuvre au Rocher Mistral ? 

Ils sont nombreux, parfois anecdotiques et symptomatiques, comme le jardin à la Française de la Barben est attribué à Le Nôtre, alors qu’il a été fait par des fontainiers aixois. Parfois c’est un simple bric-à-brac chronologique. Mais en décrétant vouloir faire du Château de la Barben le « phare de l’identité provençale », on passe à un autre niveau. La culture provençale, c’est l’ouverture vers la Méditerranée, les traditions d’accueil. Au château tout est mis en clichés : on préfère Daudet à Marie Mauron, évidemment, on représente un peuple braillard et violent, une aristocratie éclairée et aventurière, une religion catholique irréprochable et supérieure. 

Pourtant le Félibrige est associé au projet…

Il se trompe, c’est malheureux, et ce n’est pas la première fois. Cette Histoire qui est diffusée est fausse, racornie, parcellaire, et le plus grave est qu’on la sert à des scolaires. Des cars entiers d’enfants qui repartent avec ces clichés qui souvent ne les incluent pas, le récit tronqué d’une nation qui détruit le lien social. Avec de l’argent public, et le pouvoir du divertissement.  

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNES FRESCHEL

Actualisation du 12 août 16h30 : À la demande du service juridique du Puy du fou, nous avons enlevé l’expression « Puy du fou provençal » qui figurait dans notre article initialement. Visiblement, même en Vendée, être associé au Rocher Mistral n’est pas de bon goût.

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