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AccueilCinéma« Je fais partie de ce territoire »

« Je fais partie de ce territoire »

Pour son deuxième long-métrage, Frédéric Farrucci installe sa caméra chez lui en Corse, où il suit la traque d’un berger poursuivi par la mafia et la police. Entretien

Zébuline. Avec Le Mohican, vous présentez un deuxième long-métrage sur la Corse et tourné en Corse. Pourquoi ce désir ?
Frédéric Farrucci. Je suis Corse et j’ai eu envie d’aller tourner chez moi, où j’avais déjà tourné des courts et des documentaires. C’est d’ailleurs le tournage d’un docu sur un berger du littoral qui a été l’élément déclencheur. Cet homme élevait des chèvres à un endroit où pourraient être construits des hôtels, des villas de luxe, des golfs. Il se considérait comme une anomalie sur le territoire et se nommait lui-même le dernier des Mohicans. Il avait peur de transmettre l’exploitation à ses enfants, jugeant que ce serait un cadeau empoisonné, susceptible de les mettre en danger. C’est quelque chose qui me travaille énormément. Il faut savoir que le pastoralisme de littoral est une activité ancestrale en Corse, qui disparait peu à peu à cause de la surexploitation touristique. Cela me dérange que des individus organiquement liés à un lieu en soient chassés dans une civilisation uniquement fondée sur l’économie et le profit.

Une Corse que l’on n’a pas l’habitude de voir…
La Corse souffre d’une imagerie forgée depuis l’extérieur, véhiculant des clichés via la littérature, les actualités, le cinéma. En tant que cinéaste corse, je ne suis pas seulement observateur. Je fais partie de ce territoire. Le film s’ancre dans un réel, politique, sociétal qu’il questionne. Tout dans le film est fiction mais toutes les scènes pointent vers des événements s’étant réellement déroulés au cours des vingt dernières années.

Est-ce que dès l’écriture du scénario, vous avez eu l’idée de le traiter comme un western ?
Assez vite, car j’évoque un conflit de territoire lié à un conflit de civilisation, un des piliers du western. Ce qui me touche aussi beaucoup dans ce genre, c’est la confrontation entre les « sauvages » et une modernité qui impose la violence. J’avais envie que le film porte un contenu politique sans asséner de discours. J’aime utiliser le genre comme un cheval de Troie. L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford est une des sources d’inspiration du Mohican. En Corse, il y a une forme de mythologie populaire : des individus de l’Histoire ou du présent, issus du banditisme ou de la lutte indépendantiste se voient parfois dotés d’un statut de légende.

Pouvez-vous nous parler du casting et de la musique signée Rone ?
Le casting s’est nourri de figures réelles qui m’avaient fasciné comme le vétérinaire qui joue son propre rôle. Avec la directrice de casting, Julie Allione, on a fait un casting sauvage et un classique. Alexis Manenti est entré dans la pièce pour les premiers essais, avec une telle justesse et intensité, que cela a été une évidence. Il a apporté beaucoup de nuances, de complexité et d’émotion au personnage. Pour la musique, j’avais déjà travaillé avec Rone dans La Nuit venue. On avait envie de collaborer à nouveau. Je suis fasciné par son travail de mélodiste, sa capacité à nourrir ou contredire l’image. Ici, une tâche assez complexe avec un enjeu double : trouver la rugosité du territoire et de la situation tout en apportant une touche de lyrisme liée au genre.

Et pour l’image, qu’avez-vous demandé à votre directrice de la photo, Jeanne Lapoirie ?
J’avais été très inspiré par un autre western qu’elle avait filmé, Michael Kohlhaas [d’Arnaud des Pallières, ndlr] dont j’avais trouvé l’image admirable. On en a beaucoup parlé et on a réfléchi ensemble sur la manière de faire un western contemporain : filmer en 2.35, le format du western classique, choisir les heures où on allait tourner pour avoir une telle couleur d’image, notamment. Jeanne tourne très vite et on a improvisé beaucoup de choses ensemble, en fonction des lieux, de la météo, de l’état et l’attitude des comédiens. J’ai été très touché que le berger du documentaire m’ait donné l’autorisation de tourner sur ses terres. Cela me paraissait très important du point de vue politique, esthétique et narratif et aussi pour que mon équipe et mes comédiens ressentent organiquement le sens du film.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA

Vous pouvez lire la critique ICI

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