Il n’a que 23 ans, mais déjà des vers pleins les poches et des engagements plein la voix : Renaud Guissani, jeune poète rovenain passé par Sciences Po Aix, Fribourg et l’Ejcam, signe avec Carnet d’un humaniste un premier recueil ambitieux et lyrique, dans la lignée de ceux qui, comme lui, rêvent d’écrire depuis l’enfance. Il a déjà, entre autres contribué à Zébuline, cofondé un collectif des Penseurs Insomniaques, et ne cache pas son désir d’inscrire la poésie dans le tumulte du monde contemporain.
La poésie s’écrit chez lui comme on extrait un fil d’or d’un rocher trop lourd. Renaud Guissani creuse – c’est son verbe –, « profondément, jusqu’à l’intérieur ». Et il creuse avec une obstination mélancolique, amoureuse, pour sortir quelque chose de beau de ce qui ne sait que faire mal.
Art-triste et matière vive
Il n’hésite pas à se frotter aux Grands : Ronsard, Rimbaud, Apollinaire … jamais en pastiche, ni même en mimétisme, mais plutôt en conversation, volontiers métatextuelle. Il leur emprunte le souffle, le lyrisme, la fièvre des romanesques. Et voyage entre les alexandrins et les décasyllabes qui ont fait la splendeur des plus belles pages surréalistes – à qui il aurait pu voler, peut-être, ces vers-ci : « Mes yeux, humides de leurs pleurs dormants / Regardent dehors sans rien voir vraiment ». Ou d’autres vers pleins, volontairement sonores, et souvent soupirants : « L’encre qui coule de tes doigts, c’est de l’art triste ».

Cette art-tristesse devient matière vive : elle déborde chez ce mélancolique qui revendique l’héritage du vers classique. L’alexandrin, parfois débordant, sujet à d’élégants enjambements, devient ici une corde raide sur laquelle l’auteur avance sans filet, mais avec aplomb. C’est une langue éloquente, chantante, musicale, qui s’offre au lecteur – une langue qui respecte l’artisanat poétique et parvient à éviter l’écueil de la préciosité.
Il faut saluer la justesse de ses figures : ce « cerne de la joie », ces « rides d’un bonheur qui part » qui touchent par leur simplicité visuelle et leur pouvoir d’évocation. Le lecteur y reconnaîtra sans doute un « souvenir aigre-doux qui caramélise dans le bain de [son] cerveau ». Celui d’une jeunesse inquiète, ardente, lucide, et non dénuée d’humour. La grandiloquence, ici, n’est pas posture – elle est sincérité. Et c’est évidemment ce qui la rend attachante.
SUZANNE CANESSA
Carnet d’un humaniste, de Renaud Guissani
Éditions Les Bonnes Feuilles – 15,80 €
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