Peu de sujets font l’objet d’une si flagrante inflation législative. L’immigration est de ceux-là. Des lois Pasqua en 1986 à celle de Gérard Collomb en 2018, pas moins de vingt-et-un textes ont façonné, la plupart du temps durci, la manière dont la France accueille, accompagne, considère et au final traite les personnes étrangères sur son sol. C’est en réalité depuis le septennat Giscard d’Estaing que chaque président de la République, quand ce n’est pas chaque ministre de l’Intérieur, apporte sa contribution en rognant ici la tradition d’accueil de la France, là le fondamental droit du sol. Au gré d’un pseudo débat politique imposé par le Front puis Rassemblement national. Sur le plan de la communication, indispensable pour briller place Beauvau, on constate une inventivité digne d’un concours de slogan publicitaire. C’est à celui qui trouve la formule choc, celle qui fera mouche parmi l’électorat le plus réactionnaire. Se succèdent le « million Stoléru » en 1977 pour inciter les travailleurs immigrés à rentrer « chez eux », la sinistre « double peine » inventée par le ministre Bonnet dès 1980, les astucieuses expulsions par charter de Charles Pasqua, les fraternels coups de hache par la police de Jean-Louis Debré sur l’église Saint-Bernard, le très vendeur « la-France-tu-l’aimes-ou-tu-la-quittes » de Sarkozy, le subtil « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » de Brice Hortefeux ou encore la mort-née déchéance de nationalité d’un François Hollande tendance Valls.
Ceux qui rapinent…
Quant à la formule qui consiste à promouvoir une vision à la fois « ferme » et « humaine », elle ne date pas de l’antienne macroniste du « en même temps » puisqu’elle remonte à Jean-Pierre Chevènement (1997), alors ministre zélé du socialiste Lionel Jospin. Dernière pépite en date, la phrase « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent » de Gérald Darmanin en dit long sur l’essence du futur projet de loi sur l’asile et l’immigration – ça en devient lassant – annoncé pour le début de l’année 2023. Un nouveau texte qui prévoit de régulariser les travailleur·ses sans-papiers des métiers en tension. Du moins jusqu’à ce que le l’économie et donc le marché décident que leur savoir-faire n’est plus utile au drapeau tricolore. L’immigré·e kleenex, il fallait y penser.
Nous aussi, on voudrait bien des ministres de l’Intérieur qui bossent. Pas qui rapinent les voix de l’extrême droite.
LUDOVIC TOMAS