Dans Les Aventures de Gigi la Loi, Alessandro Comodin brosse avec tendresse, drôlerie et virtuosité, le portrait de son oncle Pier Luigi Mecchia, dit Gigi.
Des « aventures », dans le petit village paisible du Frioul où officie Gigi, policier des champs, il n’y en a guère. Ni bruit ni fureur sur ces routes désertes bordées d’herbes folles. Peu de problèmes graves entre ces villageois qui se connaissent tous. La police est par nature de proximité et ne règle guère que des querelles de voisinage. Il y a bien une voie ferrée et quelques suicides sous le train, de vagues enquêtes sur de vagues homicides, des zinzins à amener parfois à l’hôpital psychiatrique, mais tout cela, définitivement hors champ, ne génèrera aucune péripétie.
Suspect imaginaire
Quant à « la loi », épithète homérique accolée à Gigi, elle lui est donnée par des collègues policiers taquins, Gigi aimant bien ce qui est interdit. Refuser de couper les arbres de son terrain qui menacent de tomber chez les voisins. Aller au-delà du périmètre de ses patrouilles. Suivre, sans en avoir mission, des individus qui lui paraissent louches. Désobéir au chef surnommé le Faisan qu’on ne verra jamais. Draguer via la radio de son véhicule de fonction, Paola, la policière du standard à la belle voix, qu’on ne verra pas davantage, titillant délicieusement notre imagination et celle de Gigi. Car, dans ce surprenant documentaire malicieusement scénarisé, le hors champ sonore et visuel soutient sans cesse, mieux que ne le ferait un thriller, l’intérêt du spectateur, introduisant dans un réel prosaïque et répétitif, une subtile étrangeté. Incroyable séquence nocturne de préambule dans un jardin-jungle où Gigi vu de trois quart dos, en un plan séquence de huit minutes, s’adresse à un interlocuteur invisible face à ses arbres chéris. Plan presque surréaliste où, alors que Gigi fait les cent pas dans la rue vide, guettant un suspect imaginaire, arrive vers nous un cycliste qu’on peut croire dangereux mais qui s’avère femme, vieille et inoffensive.
Mêmes itinéraires, même paysage qui défile à la fenêtre-chauffeur ou qu’on découvre en caméra embarquée à travers le pare-brise, même bruit métallique quand le véhicule passe sur le pont qui enjambe la rivière, mêmes conversations banales avec les collègues : le réalisateur nous fait partager la routine professionnelle de Gigi, presque toujours en uniforme. On ne connaîtra pas sa vie privée. Le quinquagénaire à la bonne bouille, cheveux clairsemés et sourire d’enfant, chante des chansons populaires – d’amour, bien sûr : il n’a rien d’un héros et sa fragilité toute humaine, dans cette Italie rurale, loin de la trépidante urbanité, le rend bougrement attachant !
ÉLISE PADOVANI
Les Aventures de Gigi la Loi, d’Alessandro Comodin En salle le 26 octobre 2022
Le film, distribué par Shellac, a obtenu le Prix spécial du jury à Locarno.