Rachida Dati a créé en avril 2025 un poste de Haute fonctionnaire pour la Liberté de création au ministère de la Culture, et y a nommé Juliette Mant, adjointe à la culture d’Arcueil. Une nomination qui en dit long sur la nécessité, pour les programmateurs, les collectivités et les artistes, de pouvoir en rappeler la loi, et préserver un droit fondamental. Celui-ci a été défini en 2005 dans la Convention de l’Unesco sur la liberté artistique, qui regroupe un ensemble de droits protégés en droit international. Dont « le droit à la création sans censure ni intimidation ».
Des inquiétudes nouvelles
Si ce droit peine à s’installer pour tous·tes, la France était à peu près, depuis la fin de la guerre d’Algérie, préservée de la censure artistique. Mais « L’ordonnance Dieudonné », comme le rappelle Juliette Mant, est venue changer la donne : le 9 janvier 2014, l’humoriste, condamné auparavant pour antisémitisme, a vu son spectacle Le Mur interdit à Nantes au motif de « trouble à l’ordre public » parce qu’il « porte atteinte à la dignité humaine » et à la « cohésion nationale ».
Cette mesure, qui allait à l’encontre de la décision précédente du tribunal administratif, a été imposée par le ministre Manuel Valls, et a immédiatement suscité l’inquiétude des magistrats : comment garantir que ces concepts flous, entre les mains de forces réactionnaires ou fascisantes qui exercent localement le pouvoir, n’en viennent pas à interdire l’immoralité, la critique politique, l’évocation de la guerre génocidaire à Gaza, le « blasphème », la nudité, les représentations de l’homosexualité ou du queer, le « wokisme » ?
J’veux du queer !
Comme l’explique Alexie Lorca, adjointe à la culture de Montreuil, « le problème est qu’il est difficile de faire comprendre aux féministes, aux antiracistes, qu’interdire une œuvre artistique au prétexte des valeurs réactionnaires qu’elle diffuse est dangereux pour la démocratie ».
En effet, ceux qui voudraient interdire la Mégère apprivoisée ou Tarzan (où les singes sont plus malins que les Noirs) mesurent-ils qu’ils attaquent aussi la liberté des artistes qui expriment des concepts émancipateurs ? On ne peut pas interdire les artistes russes, les compagnies israéliennes, y compris ceux qui soutiennent leur gouvernement, sans prendre le risque de vouer au silence les Palestiniens sous prétexte d’un risque de trouble à l’ordre public. Sans prendre le risque d’une censure d’extrême droite.
Délit d’entrave
Aymeric Sasseau, adjoint à la culture de Nantes, souligne que la loi est appliquée avec plus ou moins de célérité et de rigueur. Les responsables d’un bar associatif lors d’un festival organisé dans sa ville ont été convoqués par la police et ont dû répondre d’un tag ACAB (All cops are bastards) en « 72h chrono ». En revanche les intégristes catholiques qui ont empêché, « par une manifestation violente assortie de coups de pieds », le concert de l’organiste Anna von Hausswolff en décembre 2021 à Nantes d’abord, puis à Paris, ne sont toujours pas inquiétés.
AGNÈS FRESCHEL
Soutenir le peuple palestinien, illégal en France ?
Le 2 juillet dernier, le préfet de Haute-Loire interdisait un rassemblement de soutien au peuple palestinien organisé à Chambon-sur-Lignon. Quelques jours plus tard, le 9 juillet, Victor Cachard, libraire de la petite ville, recevait cette lettre de la préfecture :
« Par arrêté préfectoral du 2 juillet 2025 j’ai interdit, au titre du code de la sécurité intérieure, tout rassemblement de soutien au peuple palestinien […] eu égard au risque de troubles de l’ordre public. En dépit de cette interdiction le rassemblement s’est tenu le 4 juillet et vous avez été identifié comme l’un des organisateurs ».
S’ensuivent l’évocation de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amendes, et la menace d’un signalement au Procureur de la République. Un cas qui ne relève pas de la liberté artistique mais de la liberté de manifestation. Cependant la menace sur un libraire qui organise des débats s’est exprimé clairement, et sans trouble à l’ordre public constaté lors de cette manifestation « illégale ». Illégalisée ? A.F.