Un décor désertique, un arbre mort et un grand rocher. Une pile de livres et un vieux tourne disque. Un père (Adama Diop) se tient là, dans un costume vintage. Il vient de découvrir que sa fille, Amina (Alison Dechamps), a décidé de partir vivre sur Mars sans le prévenir. C’est en tout cas ce qu’on comprend dans le message qu’il enregistre pour lui envoyer. Telle est la première image de La Distance, pièce créée par Tiago Rodrigues au Festival d’Avignon. Celle-ci se construit autour de cette correspondance interstellaire entre le père, resté sur une Terre dystopique, et la fille qui a été sélectionnée pour participer à la création d’une Nouvelle Humanité sur Mars, une société eugéniste et autoritaire qui n’est pas sans rappeler d’autres dystopies qui ont nourri nos imaginaires – et les projets d’un milliardaire techno-fasciste.
Mais Amina, contrairement à son père, y voit une utopie pour laquelle elle est prête à sacrifier sa vie, à oublier son passé. Car pour intégrer pleinement cette nouvelle société martienne, elle doit se soumettre à un traitement qui efface peu à peu ses souvenirs de sa vie d’avant. Chacun installé d’un côté d’un décor qui tourne sur lui même, ne laissant apparaître qu’un des deux à la fois, ils tentent de communiquer, de se dire les choses une dernière fois avant que sa mémoire s’efface complètement.
Un monde vide
Leurs convictions respectives se mêlent à leurs sentiments. Lui croit en la possibilité de créer un monde meilleur sur terre et cherche à la convaincre de rentrer. Elle a pris sa décision de rester et souhaite juste qu’il l’accepte. Le caractère presque caricatural de ce conflit est renforcé par leur séparation physique et par le manque de développement de l’univers dans lequel ils évoluent. Il est question de grands effondrements, d’une opposition entre des Républiques et des Corpo Nations, sans qu’on ne sache vraiment comment on en est arrivé là. Ce monde post-apocalyptique, dont on a à la fois trop et pas assez de détail, demeure une simple toile de fond pour leur relation.
Mais si la pièce manque de substance à cet endroit, Tiago Rodrigues y déploie un lyrisme sans borne, appuyé aussi bien par l’interprétation d’Adama Diop, brillant dans son désespoir de père, que par la mise en espace. La rotation du décor qui accélère à mesure que le temps se fait plus pressant pour les personnages, puis s’interrompt pour leur offrir un moment de communion que l’on sait éphémère, l’exceptionnel jeu des lumières, qui alterne entre des ambiances chaudes et d’autres cauchemardesques plongent nos sens dans un état d’alerte permanent. On ressort bouleversé de cette pièce qui parvient à toucher à quelque chose d’universel, la peur de perdre un être cher, et ce malgré ses insuffisances.
CHLOÉ MACAIRE
Jusqu’au 26 juillet
L’Autre Scène, Vedène
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