Il n’est plus un enfant prodige. Ryan Wang a commencé sa carrière à 5 ans, et ses interprétations virtuoses des opus les plus acrobatiques sont applaudies depuis dans tous les festivals. Sa vélocité est proprement prodigieuse, et son toucher fait fureur. Mais si la valeur n’attend pas le nombre des années, les enfants prodiges ne font pas toujours les plus grands interprètes, et on attendait de voir si la prodigieuse mécanique allait laisser surgir, au-dessus, la musicalité qui distingue les interprètes d’exception.
Avec le pianiste canadien, on avait confiance : dès 11 ans il préférait les passages lents, les douleurs harmoniques, les changements d’humeur, aux cavalcades des doigts et aux triomphes. Et à 17 ans, ce qu’il laisse entendre est d’une maturité remarquable : c’est une interprétation, la sienne, de Chopin, qu’il déroule dans un concert savamment composé.
Jeune Chopin
L’enfance de Chopin est polonaise, et quand il compose La ci darem la mano, variations sur le thème du duo de Don Giovanni, il n’a que 17 ans, lui aussi. Conçues pour mettre en valeur ses capacités prodigieuses de pianiste, elles sont un feu d’artifice qui enchaîne sans pause climax et bouquet final. Ryan Wang, comme Chopin sans doute, y est stupéfiant. Mais, au fond, la pièce manque d’âme, ou du moins, n’a pas tout à fait dépassé celle de Mozart pour laisser place au nostalgique décousu de Chopin.
Ce qui a précédé durant les deux heures de concert, en revanche, a fait le tour d’un génie du piano qui est passé de l’épate à la profondeur, du pyrotechnique à la nostalgie, d’un amour idéalisé aux bras complexes de George Sand. Mais si les 17 ans de Chopin sont encore jeunes et démonstratifs, ceux de Ryan Wang savent déjà faire ressentir les tourments, les souvenirs qui s’attardent, la mort des proches, les orages qui roulent.
La tendresse aussi, surtout, car son toucher effleure avec une infinie délicatesse le clavier dans le soir qui tombe, et on retiendra de la célèbre 2e sonate davantage la douce mélodie du souvenir que la scansion de la marche funèbre. Quant aux préludes enchaînés dans leurs tonalités et caractères différents, aux Mazurkas dansants, à la Polonaise opus 53 (la plus difficile !), tout brillait, brûlait, s’alanguissait, avec juste ces petits retards qui fondent le désir, ces petits appuis qui frappent l’âme.
Jeune, Ryan Wang l’est aussi dans sa simplicité : la nuit tombant sur la baie assombrissait aussi sur le piano : ne distinguant plus ses mains, le clavier, le pianiste continua de jouer à l’aveugle, puis on lui ajouta une petite lampe artisanale. Sans broncher, il continua d’enchaîner les difficultés dans ces conditions difficiles, et offrit au public des bis époustouflants après plus de deux heures de concert. Dont une improvisation jazz sur la Lettre à Elise prouvant, s’il le fallait, sa maîtrise flamboyante de l’architecture musicale.
Agnès Freschel
Ce concert a été donné le 6 septembre à Six-Fours-les-Plages dans le cadre de La Vague classique.
À venir
Récital Chopin
Ryan Wang
28 septembre 10 h
Opéra de Marseille
Dans le cadre de la saison de Marseille Concerts