Il fallait bien les qualités d’interprète hors norme de Stanislas Nordey pour rendre justice au texte si puissant d’Henri Alleg. Et rappeler à quel silence cette Question, qui disait pourtant déjà tout d’un moment tristement fondateur de l’Histoire de France, aura été réduite pendant tant d’années. C’est pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie et sa condamnation sans appel de l’horreur colonialiste que ce militant communiste aura été séquestré en 1957. Lui qui avait dénoncé dans l’Alger Républicain et L’Humanité les sévices subis par les indépendantistes se voit à son tour interrogé et supplicié.
Condamné au silence ?
Il fait le récit de ces mois d’horreur dans des pages écrites en secret, dont s’empareront par la suite son épouse et ses avocats. La torture y est décrite cliniquement : les réactions physiques, épidermiques, d’Alleg, sont moins commentées que les discours glaçants que lui livrent, par bribes, ses bourreaux. La pensée colonialiste, son racisme, sa violence insoutenable face à toute pensée qui la menace apparaît ici dans toute son horreur. L’acteur, soutenu par la mise en scène sobre de Laurent Meininger et la sonorisation sensible de Mikaël Plunian, excelle sur cette partition où la sidération physique s’imprime moins encore que le sentiment croissant de solitude extrême. Une fois de retour en France après son emprisonnement en Algérie, Henri Alleg se verra, pour sa dénonciation alors inaudible des actes perpétrés par les parachutistes, de nouveau condamné à la prison. Dix ans après sa mort, répandre cette parole unique s’avère plus que nécessaire pour comprendre non seulement les douleurs endurées, mais également quel sentiment d’impunité animait alors, et anime certainement toujours, les forces spéciales et autres troupes armées.
Suzanne Canessa
« La Question » est jouée au Théâtre des Halles jusqu’au 26 juillet.