Déposée dans la boîte à bébé de l’orphelinat de la Pietà, Anna Maria est élevée dans ce couvent destiné aux jeunes filles abandonnées ou illégitimes. Dans ce lieu de réclusion, on forme des orchestres féminins qui fascinent l’Europe entière. Les plus grandes artistes, celles qui rejoignent l’ensemble instrumental et vocal du Figlie del coro, échappent aux dortoirs, aux mariages forcés avec de vieux gouverneurs vénitiens et reçoivent des gages. Anna-Maria en devient une des violonistes les plus brillantes sous la houlette d’Antonio Vivaldi, prêtre, maître de violon, puis de musique à la Pietà. Des témoignages d’époque évoquent aussi remarquable, ses solos envoûtants. Elle incarne l’élite artistique de l’institution, atteignant le rang de Maestra di violino (1720) puis Maestra di coro (1737).
Elle maîtrise aussi le violoncelle, l’alto, le luth, la mandoline, le clavecin, le hautbois… On sait qu’elle s’essaya aussi à la composition, comme d’autres jeunes femmes de la Piéta et il semble aujourd’hui acquis que ces créations furent usurpées par des hommes, et en particulier par Antonio Vivaldi.
Le compositeur italien lui a dédié plusieurs de ses concertos les plus virtuoses. Mais de cette musicienne hors pair, il ne reste presque aucune trace : pas de portrait connu, pas de partitions à son nom, juste des mentions dans les archives et la musique écrite pour elle -par elle ?- par son illustre professeur.

Pionnières invisibilisées
Si le roman de la journaliste britannique Harriet Constable séduit par son sujet et son cadre, la Venise baroque du 18e siècle, chatoyante et mystérieuse, il laisse un goût mitigé sur le plan littéraire. L’ambition est louable, mais l’exécution souffre d’une écriture convenue et de dialogues figés. L’intrigue, entre quête d’émancipation et drame amoureux, reste prévisible. Pourtant, La Virtuose a le grand mérite d’éveiller la curiosité et de braquer les projecteurs sur une musicienne d’exception. Aussi on ne boudera pas notre plaisir tant sont encore rares les biographies ou romans rendant hommage à ces artistes invisibilisées. On pourra cependant citer Lili Boulanger, « Résister » de Martine Lecoq (Éditions Ampelos, 2023) ou l’ouvrage de la violoniste d’origine marseillaise Marina Chiche qui dans Musiciennes de légende (Éditions First/RadioFrance, 2021) exhume les figures de Maud Powell, Hazel Harrison, Antonia Brico ou Nejiko Suwa pour les réhabiliter au panthéon de l’histoire de la musique. Certaines sont des anticonformistes, des suffragettes, des pionnières, des féministes engagées. Certaines n’ont pas eu d’enfant pour être entièrement au service de leur art, tandis que d’autres ont choisi, pour devenir mères, de mettre un temps leur carrière en sourdine.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
La Virtuose de Harriet Constable, Albin Michel : 382 p, 21,90€
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