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Lampedusa, la nuit qui se prolonge

Dans le cadre du festival Off, le collectif marseillais ildi!eldi a créé au théâtre des Halles A ce stade de la Nuit, de Maylis de Kérangal. Un appel grave à l’hospitalité

Présentations : ildi!eldi (il c’est Antoine Oppenheim, el c’est Sophie Cattani) aiment la littérature contemporaine, celle qui en disant je, souvent au féminin, se théâtralise aisément. Pour précision : il!el n’ont pas inventé le iel, mais le nom de leur compagnie le précède.

il!el aiment aussi le cinéma, celui qui a marqué la mémoire d’une génération, en particulier celle des autrices qu’il!el théâtralisent : leur série A et S font leur cinéma –autour des récits inattendus et si familiers sur  Alien, Bambi ou Les Parapluies de Cherbourg d’Olivia Rosenthal- éclaire étonnamment ce que les films font à nos émotions et à nos mémoires.

Autre point, pas sans rapport : il!el, au-delà de leur compagnie, organisent des « Mariages arrangés ». L’alliance de l’un d’entre eux, il ou el, avec un artiste « nouvel arrivant » en Europe. Depuis 2020 il!el partagent un atelier  à Marseille, le boa, avec des artistes en exil, et forment des projets communs, qu’ils réalisent sur scène. A ce stade de la nuit en est un brûlant exemple.

Sempiternels naufrages

C’est avec le peintre kurde Mahmood Peshawa que Sophie Cattani dit, en une petite heure, d’un débit rapide et étonnamment clair, le texte intégral de Maylis de Kérangal. Un récit écrit en 2013 en quelques jours, juste après le naufrage du 3 novembre au large de Lampedusa. 366 morts, 155 rescapés ; des Erythréens et Soudanais pour la plupart, qui n’avaient jamais vu la mer, et dont on apprendra quelques jours plus tard qu’ils ont été, pour au moins 130 d’entre eux, enlevés, torturés et violés dans des camps Libyens, puis forcés au départ.  L’État italien leur refusera le deuil national, et placera en détention pour entrée illégale dans le territoire les 155 rescapés.

Une tragédie, dont on apprendra en 2017 qu’elle aurait dû être évitée, les autorités italiennes ayant été averties que le cargo prenait l’eau 5 heures avant qu’il ne sombre, mais refusant qu’un navire militaire italien, pourtant à proximité, leur porte secours.

Ces faits, l’ampleur du naufrage, sont au cœur du récit de Maylis de Kérangal, mais elle s’y laisse aller, par des associations d’idées, vers un sens plus général, historique, du naufrage européen. Car Di Lampedusa, c’est aussi le nom de l’auteur du Guépard, du visage de Burt Lancaster qui pleure la fin de son monde, d’une aristocratie décadente qui souffre de laisser la place à une bourgeoisie vulgaire, qui rétablira les mêmes systèmes d’oppression sur le peuple.

Un naufrage, qui en précédera un autre, celui de l’Europe qui n’en finit pas de sombrer parce qu’elle oublie ce qui l’a fondée : l’hospitalité, dernier mot du récit, dernier mot du spectacle.

Naissance des images

Sur scène, Sophie Cattani est assise à une table simple, comme dans sa cuisine, des morceaux de tasse brisés au sol, une autre, intacte, posée, qui viendra les rejoindre. Sur un écran toile les images du film de Visconti s’arrêtent, se zooment, se répètent, cadrant la tristesse, le mépris de classe, la grâce inutile de Claudia Cardinale et Alain Delon, le naufrage du bal final. Sophie Cattani rappelle la phrase de Delon « Il faut que tout change pour que rien ne change », recette pour que le conservatisme se perpétue, pour que les naufrages civilisationnels se succèdent sans que l’ordre social et les dominations ne cessent.

Alors Mahmood Peshawa se lève et sur la toile écran, tandis que Sophie Cattani continue de dire son impuissance, la solidarité des citoyens de Lampedusa, le nombre effarant des noyés, il dessine à grands coups de pinceau leurs visages. Une foule de traits qui coulent comme des larmes noires, et figurent des yeux, des bouches, tordus, qui fondent.  Ceux du naufrage de 2013 et de tous ceux qui, depuis, ont disparu en mer. Lampedusa n’a rien changé.

AGNÈS FRESCHEL

A ce stade de la nuit a été joué au Théâtre des Halles, Avignon, du 6 au 26 juillet

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