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Le combat politique est culturel

Bernard Arnault est entré à l’Académie. Celle des Sciences morales et politiques. Morales ?  Comment peut-on élire au sommet de la reconnaissance de la moralité française l’une des trois plus grandes fortunes du monde, amassée sur l’industrie du luxe, l’exploitation des pauvres, la délocalisation et les arrangements fiscaux à grande échelle ? Politiques ? Comment celui qui a refusé qu’un gouvernement de gauche, emmené par une socialiste énarque, entame les intérêts des ultra-riches qui détruisent le pays, la planète et les hommes, peut-il être élu à l’Académie des Sciences politiques du pays de la Révolution française et de l’invention des Droits de l’homme et du citoyen ? 

Le fait qu’il le désire avec tant d’énergie est symptomatique de l’emprise que le capital veut exercer sur la culture, sur le bien public national. Le multi milliardaire a financé la restauration de Notre-Dame de Paris, du plus grand symbole de la France chrétienne. Son inauguration coïncide avec la déchéance d’un gouvernement nommé pour défendre les intérêts des ultra-riches. La restauration du passé, l’appétit d’académie, se complètent. 

Le fait qu’il le désire est symptomatique des forces culturelles qui s’affrontent dans le pays : celles qui veulent une culture émancipatrice, universelle mais plurielle, réceptacle et sublimation de la mémoire et de l’histoire de tous·tes, s’affrontent aux forces réactionnaires au sens propre, qui refusent cette révolution culturelle que nous vivons. 

La culture réactionnaire

Ceux qui refusent de réviser leurs références, leur langue, leur dictionnaire, défendent une France immuable et éternelle, enracinée, centralisée, laïque et égalitaire dans ses droits parce qu’il le faut,  mais profondément inégalitaire dans ses choix. 

L’image d’une France multiculturelle où les femmes, les racisés, les minorités de genre, les artistes queer ont leur place a triomphé lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Or elle doit être combattue si les ultra-libéraux veulent conserver un pouvoir qui se fonde de plus en plus sur le contrôle des esprits et des goûts. Les oligarques français ont fait main basse sur la presse et les médias et détruisent activement le service public d’information.

C’est au tour de l’édition et de la culture publique d’être attaquées à présent. L’Académie d’abord qu’on investit, tout en s’assurant de la fin des crédits culturels décentralisés, la fin des subventions aux associations et à l’éducation populaire.  

La création surtout, est perçue comme dangereuse : les artistes empêchent aujourd’hui d’affirmer une France unique, dont le patrimoine est blanc, masculin, chrétien et hétérosexuel. On admet, parfois, qu’un artiste soit privé de l’une de ces qualités, et on admire Kamel Daoud, Amélie Nothomb, Albert Cohen ou Marcel Proust. Mais l’intersection de ces particularités, et la revendication d’une identité intersectionnelle, remet en cause trop profondément un ultra-libéralisme qui repose sur le trio patrimoine-patronat-patriarcat, et le déni que l’universalisme à la Française a été colonisateur, impérialiste, antisémite et profondément misogyne. 

La bonne nouvelle de cette « réaction » culturelle, c’est qu’elle signe la présence de forces révolutionnaires, émancipatrices, profondes, et susceptibles de déstabiliser un ultra-capitalisme à l’agonie. La mauvaise, c’est que ces forces réactionnaires puissantes, mondiales, qui attisent les divisions communautaristes, sont en voie de triompher.

Agnès Freschel

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