C’est un spectacle tout frais, mais déjà parfaitement mature. Contrairement au héros, qui se débat dans les affres de l’adolescence, et son narcissisme chamboulé incarné avec finesse par Damien Reynal, seul en scène. Il est Grégoire, lycéen luttant pour dégager son être des exigences parentales, et fort justement inquiet d’affronter celles de la société, au delà des contraintes scolaires.
Sa prof de français lui inflige la lecture de La Métamorphose, roman qui lui tombe d’abord des mains, avant de le happer petit à petit. Ce jeune contemporain s’identifie à Gregor, le personnage né sous la plume de Franz Kafka en 1912, transformé en insecte monstrueux. Comme lui, il est acculé à la solitude, cerné d’incompréhension familiale. Mais contrairement au cafard-Gregor, qui en meurt, le cafard-Grégoire laisse surgir une colère salvatrice, pré-individuation, potentiellement même pré-révolutionnaire, tant elle est contagieuse.
Lâcher sa carapace
Grandir, c’est muer. Traverser l’éternelle question de sa singularité, construite dans le regard des autres, insidieusement intériorisé. « Je sais pas trop quand je suis moi. Quand je dors ? Quand je suis seul et que je me regarde pas ? Peut-être. » Ainsi s’interroge Grégoire, dans un monologue constamment dynamique, ponctué de vidéos et enregistrements sonores, autant de souvenirs, fantasmes et réminiscences de sa famille vilipendée.
Le comédien singe avec humour sa professeure, le CPE paternaliste, ses camarades – car le lycée est plus un zoo qu’une jungle – et s’auto-parodie en insecte rampant, une identité qui, finalement, n’est pas la pire. Même s’il faudra bien, un jour, laisser tomber sa carapace.
Un grand bravo au Théâtre du Rictus pour cette pièce destinée aux 13 ans et plus, promise à un bel avenir. Le texte de l’auteur Éric Pessan accompagne la métamorphose adolescente jusqu’à une issue possible vers l’âge adulte, avec beaucoup d’acuité psychologique. Quelques portes, des antennes de cancrelat… la scénographie de Gaëlle Bouilly, les accessoires de Claire Fesselier, la mise en scène sobre de Laurent Maindon, entre-tissée de références à l’œuvre de Kafka, en renforcent l’intensité. Lors du bord de scène, un jeune spectateur demandait à l’équipe : « Est-ce que c’est une histoire vraie ? ». « À ton avis ? » « Je pense que oui. » En voilà un beau compliment !
GAËLLE CLOAREC
Retrouvez nos articles Scènes ici