Cette phrase de Brecht le condamna aux yeux des démocraties occidentales comme antidémocrate stalinien. Elle dit pourtant son expérience d’artiste victime du nazisme, qui a vu et décrit l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Et elle est hélas, au vu des attaques que subit le monde culturel, un avertissement sinon un présage : la démocratie, qui est bien le seul régime souhaitable, est aussi le plus fragile face aux assauts des fascistes, c’est à dire de ceux qui nient les droits humains, pratiquent la répression violente de leurs opposants, la persécution catégorielle et la guerre de conquête.
Force est de constater qu’il existe une continuité entre les attaques culturelles libérales et celles de l’extrême droite, aujourd’hui aux portes du pouvoir en France, et à l’œuvre aux États-Unis.
Le capitalisme libéral veut rentabiliser la culture, et refuse de la considérer comme un service public. Contre elle, la gauche et les syndicats, se battent pour maintenir les conquis sociaux du secteur, du régime de l’intermittence, des financements croisés concertés.
Ils luttent pour des avancées nécessaires, comme garantir la rémunération des travailleurs de la culture et non de ceux qui exploitent leurs contenus : les droits des artistes-auteurs et la continuité de leur revenus pourraient être assurés par une taxation des Gafam sur les contenus artistiques qu’ils diffusent, et leur redistribution en droits d’auteurs directs et indirects. Et la décentralisation effective des moyens du ministère de la Culture est urgente, et ne peut se résumer à de ridicules financements estivaux dans les campings…
Mais cette crise libérale se double aujourd’hui d’une inquiétante avancée des idées de l’extrême droite, jusque dans les discours et les pratiques de collectivités de gauche.
« Quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver »
La phrase célèbre est celle d’un écrivain nazi, Hanns Johnst, dans une pièce écrite en 1933 pour l’anniversaire d’Hitler.
La violence de la suppression des financements culturels par la Région Pays de la Loire (LR) ou par le Département de l’Hérault (PS) relève bien d’une volonté de destruction. Il s’agit bien d’armer un revolver plus que symbolique.
Cette violence est rendue possible par un travail préalable d’emprise sur les esprits, poussé à bout par les réseaux d’extrême droite, de Musk ou Bolloré, mais utilisé bien en amont par les industries culturelles et médiatiques. Elles ont appris à utiliser d’autres armes que la violence d’Hitler pour provoquer la crise démocratique nécessaire à leur accès au pouvoir, celles que Günther Anders décrivait en 1956 comme la continuation du nazisme
« Pour étouffer toute révolte, les méthodes archaïques d’Hitler sont complètement dépassées. Il suffit juste d’user […] de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique, avec du bavardage et une musique incessante. »
C’est pourquoi le combat culturel se mène aujourd’hui sur deux fronts politiques :
Celui d’une reconquête d’un service public de la culture, des réseaux médiatiques et d’information et de l’espace public.
Celui d’un combat sans merci pour affirmer la liberté de création et valoriser la pluralité des cultures, et en particulier des cultures discriminées, cultures minoritaires et de l’exil, qui permettent de sortir des replis identitaires.
AgnÈs Freschel
Retrouvez nos articles Société ici