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Le pass Culture est loin du compte

Dans un rapport publié le 17 décembre 2024, la Cour des comptes dresse un bilan implacable du pass Culture : il est coûteux et d’une efficacité limitée. La CGT-spectacle dénonce un « scandale d'État », Rachida Dati dit « partager les préoccupations » de la Cour

L’idée avait été jetée en quelques lignes dans le programme présidentiel de 2017 d’Emmanuel Macron : « Nous créerons un “Pass Culture”. Il permettra à chaque Français de 18 ans d’effectuer 500 euros de dépenses culturelles (cinéma, théâtre, livres…). Nous ne retirerons pas un euro au budget du ministère de la Culture. » L’objectif : démocratiser l’accès à la culture des jeunes, sans peser sur le budget de l’État. Mais la réalité est tout autre. Dans son rapport publié le 17 décembre 2024, la Cour des comptes pointe les nombreuses dérives du dispositif : il est coûteux, d’une portée limitée, et – fidèle à la politique macronienne –enrichit les plus riches.

Un coût énorme, des gains limités

« Un modèle financier tout à fait original ». Voilà comment Frédéric Jousset, mécène multimillionnaire chargé de la mise en place du Pass Culture, présentait en 2018 le dispositif. À l’époque, il devait être financé à hauteur de 80 % par le secteur privé. Dix ans plus tard, et après cinq années d’exercice du pass, le rapport de la Cour des comptes indique que la part du privé n’atteint pas même les 10%. Pire, l’argent du ministère utilisé pour le dispositifbénéficie principalement à une petite oligarchie de l’industrie culturelle : 100 millions d’euros en cinq ans ont été versés à la seule Fnac, et 10 entreprises privées se partagent 270 millions sur la même durée. « C’est un système d’aide d’État à l’industrie culturelle, alors même que l’on a des difficultés pour financer le service public » dénonce Ghislain Gautier, secrétaire général de la CGT-Spectacle. « C’est clairement un scandale d’État » poursuit-il. 

Faute de financement privé, le déploiement du pass Culture a fait croître chaque année son budget, passant de 91 millions d’euros en 2019 à 244 en 2024. La Cour des comptes estime pourtant que les objectifs affichés sont loin d’être remplis. D’abord sur ses bénéficiaires. Si 80% des jeunes d’une classe d’âge activent leur pass, c’est seulement 68% pour ceux issus des classes populaires. Sur son utilisation aussi : l’absence de médiation culturelle crée une forte inégalité dans son utilisation (entre 42 et 55% du pass est utilisé pour le livre, 7% pour le spectacle vivant – hors musique). Exit la volonté de diversifier l’activité culturelle des jeunes,puisque comme le souligne la juridiction financière, « le principal impact du pass Culture […] se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies chez les jeunes. » Pour Ghislain Gauthier, le pass ne serait « qu’un chèque à la consommation, mais pas un outil pour ouvrir la jeunesse vers de nouvelles pratiques culturelles ».

Un problème de gouvernance 

La Cour appuie aussi sur un autre problème, le choix d’une société par action simplifiée pour mettre en œuvre le dispositif : la SAS pass Culture. Alors même que celle-ci est financée par plus de 90% d’argent public, sa forme juridique ne permet pas au Parlement d’avoir un droit de regard sur celle-ci. Ni la masse salariale des 176 équivalents temps plein (en 2024)mobilisés, ni l’utilisation de son budget ne sont contrôlés. Pour la Cour des comptes « la transformation de la société pass Culture en opérateur de l’État doit être effective dès 2025 ». En réponse via communiqué, la SAS pass Culture explique – sans rire – que son « autonomie est un levier clef de son succès ». 

Une ministre « préoccupée »

Depuis sa nomination au ministère de la Culture en janvier 2024, Rachida Dati n’a jamais caché ses doutes sur le pass. Devant la Commission des affaires culturelles en mars dernier, elle disait avoir des « réserves » sur celui-ci, estimant qu’il reproduisait « les inégalités sociales et culturelles ». Même son de cloche en octobre, quand elle annonce vouloir réformer le dispositif pour cibler les bénéficiaires les plus modestes, et réserver une part du pass au spectacle vivant. Facile alors pour la ministre de « partager les préoccupations » de la Cour des comptes à la suite de la publication du rapport. Mais si le secrétaire général de la CGT-Spectacle salue la lucidité de la ministre, il doute sur sa capacité à le réformer. Rien n’indique qu’une distinction entre le spectacle vivant public et privé soit effectuée, rien non plus sur la mise en place d’une éventuelle médiation culturelle ou sa méthode.

La réforme du pass arrive en outre à un moment où la culture connaît une profonde crise de financement. Les tours de vis des collectivités territoriales ont largement tapé dans les budgets culture (coupes de 70% en Région Pays de la Loire, 20% en Île-de-France ou 10% en Paca…). Et la politique de la demande voulue par Emmanuel Macron dans la culture pourrait se fracasser sur un mur que tout le monde voit venir : un affaiblissement sans précédent de l’offre culturelle en France.   

NICOLAS SANTUCCI


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