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« Les Filles d’Olfa », la Tunisie dans l’entre deux

Le dernier film de Kaouther Ben Hania est en salles depuis le 5 juillet

Au dernier festival de Cannes Cannes, Les Filles d’Olfa a obtenu quatre prix dont le prix du Cinéma positif et l’Œil d’or du meilleur documentaire, un prix crée par la Scam en 2015 (ex æquo avec La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir).

C’est en effet un documentaire que Kaouther Ben Hania a voulu réaliser au départ, en 2016, au moment où l’histoire d’Olfa a été très médiatisée en Tunisie et ailleurs. Olfa Hamrouni, avait rendu publique la radicalisation de deux de ses filles Rahma et Ghofrane. Les deux sœurs avaient quitté la Tunisie pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye, où elles ont été arrêtées et incarcérées. « Je voulais comprendre la tragédie, et voulais en faire un documentaire classique. Mais cela ne marchait pas. Je n’arrivais pas à ramener les absentes ! J’ai amené des acteurs, un cliché que j’ai détourné. » Et c’est réussi.

On a un film hybride, entre fiction, documentaire et making-of. Rahma et Ghofrane, les absentes sont jouées par deux actrices, Nour Karoui et Ichraq Matar qui font la connaissance de leurs sœurs, Eya et Tayssir, sur le plateau le jour du tournage : une véritable alchimie s’opère. Et c’est la star Hend Sabri, qui jouera Olfa pour les scènes trop dures à revivre, lui explique Kaouther, qui la rassure quand elle craque : « On va tout revivre, ca va être très douloureux ! » Quant aux hommes qu’elles ont côtoyés, c’est un seul acteur qui les interprètera, Majd Mastoura. Parfois, quand une scène est trop dure émotionnellement pour lui il quitte le plateau et veut discuter avec la réalisatrice. Une scène importante car elle brouille toutes les frontières entre fiction et documentaire : un acteur qui a peur, une femme qui dit qu’elle joue, une réalisatrice qui quitte le plateau pour s’expliquer.

Révolutionner sa vie

C’est dans un décor unique que tout se joue, comme une thérapie dans le cabinet du psychanalyste, où mère et filles revivent des moments douloureux comme peut l’être l’adolescence, moment où l’on quitte l’enfance et où l’on a envie de nouvelles expériences jusqu’à vouloir approcher la mort. Kaouther Ben Hania a su filmer avec distance et bienveillance les séquences où, toutes de blanc vêtues, elles rejouent la mise au tombeau de l’une d’entre elles ; où, en habits rouges de majorettes, elles chantent sourire aux lèvres ; où tout en noir, elles discutent et essaient le jijab. Quant à Olfa, constatant que la Tunisie a fait son réveil, même si elle revendique de révolutionner sa vie, et vivre ce qu’elle n’a jamais pu avant, dans cette société patriarcale qui annihile les femmes, elle ne fait que reproduire ce qu’elle a vécu et a fait subir à ses filles ce qu’elle a subi. « J’aime les histoires mère/fille »,  confie la réalisatrice qui ajoute qu’elle a fait ce film avec beaucoup d’amour. Les protagonistes l’ont bien senti : « Merci, tu as porté notre voix. »

Un film qui évoque aussi, bien sûr, la situation politique en Tunisie et la tentation de l’islamisme. Ne craint-elle pas qu’on accuse le film d’islamophobie lui demande-t-on : « Je ne fais pas des films pour caresser dans le sens du poil ; je suis en colère et dans mes films, je sors ma colère. C’est ma manière de voir les choses ! » Et de citer Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Kaouther Ben Hania, qui aime explorer les liens ténus entre fiction et documentaire, n’hésite pas à filmer le réel et ses monstres. Les Filles d’Olfa nous oblige à interroger notre regard à chaque séquence : réel, jeu ; fiction et à remettre en question nos certitudes. Une réussite.

Une réalisatrice remarquée
En 2014, son excellent faux documentaire, Le Challat de Tunis avait ouvert la section ACID à Cannes ; La Belle et la meute en 2017, sélectionné à Un Certain Regard, était inspiré d’un fait divers de même que L’Homme qui a vendu sa peau, sélectionné à la Mostra de Venise et nominé aux Oscars pour le meilleur film étranger 2021.

ANNIE GAVA

Les Filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania
En salles le 5 juillet

Le film a été présenté dans le cadre du FID avant le FID, qui s’est tenu du 15 au 18 juin.

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