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L’Étranger, sous le soleil exactement

Présenté à la dernière Mostra, le dernier film de François Ozon donne chair et lumière au texte de Camus

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » voilà un des incipit les plus célèbres de la littérature française. L’Etranger, premier roman de Camus paru en 1942 est ce qu’on appelle un « classique » et il faut un certain courage pour le porter à l’écran.

Un antihéros auquel on peine à s’identifier et pour lequel on ne ressent aucune empathie. Un jeune homme qui ne sait pas, ne joue pas, ne ment pas, et pour lequel rien n’a vraiment d’importance. Une œuvre qui met en scène la philosophie de l’absurde du romancier et demeure profondément dérangeante. Visconti s’y est essayé il y a 60 ans. C’est aujourd’hui le tour de François Ozon qui quitte les forêts humides et le drame chabrolien de son précédent opus « Quand vient l’Automne » pour l’été algérois, la terre sèche et la mer dans une épure en noir et blanc traversée de lumière.

Le réalisateur suit assez fidèlement la trame du roman. Meursault (Benjamin Voisin), petit employé célibataire, vit à Alger dans les années trente. La nouvelle de la mort de sa mère ne semble guère l’affecter. Il prend un congé, se rend hors de la ville à l’asile où elle vivait, ne veut pas voir son corps, la veille distraitement avec les pensionnaires, suit le cercueil au cimetière. Et brille par son indifférence. Plus tard, il se rend aux bains d’Alger où il rencontre Marie (Rebecca Marder), une dactylo. Ensemble, ils vont au cinéma voir Fernandel dans Le Schpountz. Ils initient une liaison. Meursault croise ses voisins, l’horrible  Salamano (Denis Lavant) qui bat son chien, et l’odieux Raymond Sintès (Pierre Lottin) un maquereau qui bat sa « poule » Djemila (Hajar Bouzaouit). Entraîné dans les embrouilles de Raymond, Meursault tue sans raison apparente sous un soleil implacable le frère de Djemila qui voulait la venger. Il sera condamné à mort. Non pas parce qu’il a tué un « indigène » mais parce que son insensibilité aux codes sociaux, font de lui un étranger. Il meurt en refusant l’assistance d’un prêtre et en souhaitant « qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de son exécution et qu’ils l’accueillent avec des cris de haine. »

Fidélité et appropriation

Si à rebours du roman, le réalisateur recourt à quelques flashes back, contextualise les événements, donnant à voir cette Algérie « française » où monte la tension entre colons et Algériens, s’il donne nom et sépulture à la victime arabe de Meursault et plus de consistance aux personnages féminins, il conserve tout le mystère du personnage-titre, incarné ici avec force par Benjamin Voisin. Quasi mutique, vu de l’extérieur à travers ses gestes quotidiens, sans qu’aucune émotion n’affleure sur son visage, Meursault ne reprendra les mots de Camus que plus tard, quand il quittera sa passivité pour une dernière révolte, avant de s’ouvrir pour la première fois « à la tendre indifférence du monde ». Cette parole camusienne des Réflexions sur la guillotine portée aussi par le fantôme de la mère.

La réussite du film de François Ozon tient à cette fidélité et cette appropriation.

Le choix du noir et blanc devient ici une évidence. Jouant entre le flou et le net, juxtaposant la reconstitution historique et l’abstraction onirique de décors minimalistes. Passant de la surexposition des corps dénudés à l’ombre moite d’une chambre ou d’une geôle. Glissant des yeux du protagoniste éblouis par un soleil impitoyable à la lame miroitante du poignard de l’Arabe. De la surface scintillante de la mer au tranchant étincelant de la guillotine, le réalisateur et son complice, le chef op Manu Dacosse, façonnent ce récit par la lumière, donnant chair et sensualité à l’idée aride de l’absurdité.

ELISE PADOVANI

L’Étranger de François Ozon, en salles le 29 octobre

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