mardi 30 avril 2024
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Little Girl Blue : et ma mère fut… 

Dans un docu fiction intime et cathartique, Mona Achache ressuscite sa mère en Marion Cotillard

« My unhappy little girl blue… Ma malheureuse, ma malchanceuse petite fille triste, compte tes doigts, compte ces gouttes de pluie… je sais que tu penses que c’est la fin pour toi mais va de l’avant et reviens t’asseoir… » chante Janis Joplin. Et le titre de la chanson devient celui du film de Mona Achache. Présenté en « Séance spéciale » cette année à Cannes, Little Girl blue, quatrième long métrage de la réalisatrice, est un film hybride : documentaire et fiction, biographie et autobiographie, enquête post mortem et résurrection fictionnelle d’une chère disparue. Plongée dans l’histoire familiale pour reconstituer des crimes non nommés, impunis.

Carole Achache, la mère de Mona, se pend en 2016. Elle laisse derrière elle des caisses de lettres, carnets, textes, agendas, cassettes, photographies. Dans une usine désaffectée qui sert de décor principal au film, Mona, au milieu des documents éparpillés comme après une perquisition ou devant des murs tapissés de photos, comme dans un polar, cherche à percer l’énigme. Elle est à la fois derrière et devant la caméra, dehors et dedans. Pour établir une distance tout en se confrontant charnellement à sa mère défunte, elle demande à Marion Cotillard, de l’incarner. Sous nos yeux admiratifs, l’actrice se métamorphose. Se glisse dans le vieux jean de Carole, adopte sa coiffure, la couleur de ses yeux, ses bijoux, son parfum et se synchronise sur sa voix enregistrée. Comment une petite fille élevée dans un milieu intellectuel et bourgeois, au savoir précoce, a-t-elle pu être si malheureuse ? Comment sa rébellion, dans l’effervescence de 1968, est-elle devenue si destructrice ? 

Qui va lire ?

Drogue, prostitution, échecs de romancière, refuge dans un conformisme social pour compenser « le bordel en elle ». Maternité qui reprend le fil des traumatismes, la « malédiction familiale », les mythologies des agressions sexuelles sublimées, la transmission de la douleur féminine. Car très vite apparaît un autre rapport filial difficile, celui entre Carole et sa propre mère, Monique Lange, écrivaine et éditrice chez Gallimard dans les années d’après guerre. Une mère sur laquelle elle a écrit. Une femme brillante qui côtoyait Semprun, Duras, Beauvoir, Yourcenar et surtout Jean Genet auquel elle vouait un amour et une admiration sans borne. Le génial Genet, manipulateur et pervers, poussant la jeune Carole de douze ans dans des défis sexuels – comme il poussa son ex-amant funambule, Abdallah vers la mort. Un grand homme dégueulasse qui instilla en Carole « une conduite d’échec remarquable ». La grand-mère Monique, violée autrefois dans les rues de Pampelune, a-t-elle su ? Ou a-t-elle considéré ce viol comme un passage obligé, tout comme Carole quand Mona lui dira ce que lui a fait l’amant de son grand-père Juan et son impossibilité de lui dire non. On pense aux témoignages de Camille Kouchner ou de Vanessa Springora. Et à tout ce silence consenti. 

« Qui va lire ce que j’écris au fond de ce dossier ? Et pourquoi cet espoir d’être comprise, trouvée et donc sauvée ? » écrit Carole. C’est sa fille Mona qui la lit, la comprend et peut-être se sauve en la sauvant, s’imaginant poser sur ses épaules, un chandail de réconfort dans un geste maternel et tendre qui anéantit le malheur. 

ÉLISE PADOVANI

Little Girl Blue, de Mona Achache
En salles depuis le 15 novembre
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