« C’était l ‘été, pendant une fête. J’y étais allée avec une amie… et soudain il était là » : Une jeune femme raconte son histoire d’amour. La cristallisation sur le mode « Ce fut une apparition ». Ses stratégies de séduction pour conquérir ce beau célibataire désirable qui ne s’attarde guère dans une relation A qui s’adresse-t-elle ? On ne le saura que bien plus tard. Elle, Maria (Helga Guren) est divorcée, a quarante ans et deux enfants en bas âge. Lui, Sigmund (Oddgeir Thune) – qui porte le même prénom que Freud, est libre, entouré d’amis et d’amoureuses. La romance-passion commence. Sept ans plus tard, Maria est au supermarché, avec deux enfants en plus. Les deux premiers sont devenus des ados en crise. Conflits avec eux, avec son ex. désinvolte. Tâches domestiques chronophages et ingrates qu’elle assume seule, en l’absence de Sigmund en déplacement depuis deux mois. Elle n’y arrive plus. Ils ont convenu de travailler chacun leur tour. Mais submergée par ses charges et responsabilités, elle ne trouve pas de boulot. Sigmund revient. Sigmund va repartir. Dispute et premier claquement de porte. Il y en aura de nombreux dans le film.
Maria quitte le foyer. Elle aime toujours Sigmund et souffre de son acceptation tranquille de cette séparation. Ne me quitte pas, chante une artiste de rue. Dans le feutré de la société et des élégants intérieurs scandinaves, dans lesquels nous enferme la mise en scène, on médiatise la violence par la parole et la thérapie.
Rembobiner le film
A ce stade, le spectateur – surtout si c’est une spectatrice, pris.e dans cette histoire des plus banales, entre les deux conjoints-disjoints prend le parti de Maria contre cet égoïste de Sigmund. Sauf que ce n’est pas si simple et que la réalisatrice au fil des conversations entre Maria et sa psychologue, rembobine le film. Au propre comme au figuré : on revoit les scènes conjugales, comme si on revenait sur les lieux du crime dans un polar. Et ça devient plus intéressant. Un peu comme dans Anatomie d’une chute, sans la complexité de ce film, sans chute ni cadavre mais avec la même volonté d’explorer le récit conjugal contradictoire par essence. D’aller jusqu’à une vérité qui fait mal. La réalisatrice ne s’intéressera qu’à Maria, explorant ses rapports avec sa mère (Elisabeth Sand) avec sa fille aînée (Maja Tothammer-Hruza) laissant dans le flou Sigmund qui aurait peut-être mérité plus d’attention. Car il faut être deux pour rater un mariage. Et le prince charmant a ses propres névroses. Le mélodrame psychologique se concentre sur elle qui va devoir calmer sa colère, et surtout en trouver l’origine. Apprivoiser sa peur de l’abandon et comprendre les comportements vicieux qu’elle engendre : repousser pour retenir. Si je fais en sorte que l’autre se sente mal et que je lui laisse croire que c’est de sa faute, il va penser que je vaux mieux que lui, qu’il est moins bien que moi. Il ne s’apercevra pas que je suis mauvaise et il restera. S’aimer pour pouvoir aimer. Accepter de recevoir pour pouvoir donner. La leçon n’est pas bien neuve mais par la justesse de son casting, et son style maîtrisé, ce premier film made in Norvège parvient à nous prendre dans ses rets.
ELISE PADOVANI
Loveable de Lija Ingolfsdottir : Grand Prix du Jury, Festival du Film les Arcs / Prix d’Interprétation pour Helga Guren, Festival du Film les Arcs. En salles le 18 juin.