Les Accords d’Evian en 1962 actent la fin de la Guerre d’Algérie. Pendant les huit années du conflit, quelque 200 000 Algériens se sont ralliés pour des raisons diverses à l’armée française – patriotisme hérité de la guerre de 14-18, rivalités entre les clans familiaux, vengeance, pauvreté, lassitude face aux excès du FLN : ce sont les harkis. Abandonnés par l’armée, désarmés, ils sont livrés aux représailles et aux massacres des vainqueurs. Seuls 60 000 d’entre eux pourront s’embarquer pour la France à côté des pieds noirs. Transférés dans des camps enclos de barbelés et surveillés par des miradors, privés d’école publique pour leurs enfants, de soins médicaux, soumis au mauvais vouloir de l’administration, ils ont connu l’horreur. Quand, des années plus tard, leurs conditions se sont améliorées, ils n’en ont plus parlé. Pour Sarah, petite-fille de harkis, qui vient de devenir mère, ce secret de famille est insupportable. Comme si la continuité vers le futur de son enfant ne pouvait se faire sans crever cet abcès-là.
« Une et indivisible »
Journaliste d’investigation, avec douceur et opiniâtreté, elle entreprend contre l’avis de son père et de sa grand-mère, un retour sur les lieux du crime. Ce lieu c’est Bias, en Lot-et-Garonne, le camp de « transit » où ses grands-parents ont vécu 15 ans et où leurs anciens voisins et amis demeurent encore. À son nez, les portes se ferment. Personne ne veut raviver les plaies. Ni ceux qui ont vécu les traumatismes et l’indignité, ni parfois leurs descendants qui craignent qu’on sache que leurs pères et grands-pères ont été des « traîtres » à leur pays, et veulent les protéger. Il y a aussi la honte, paradoxale de ceux qu’on a traités honteusement. Sarah doute. Et s’ils avaient raison ? Pourquoi en parler ? Pourquoi convoquer ces souvenirs douloureux ?
Puis peu à peu, les maisons s’ouvrent avec les mémoires. Il y a les anciens qui racontent en rigolant leurs 400 coups de jeunes hommes, mais disent aussi les paillasses infestées de punaises, les meurtres, les fous et les rebelles qu’on enfermait dans une maison au milieu du camp. La mise à l’écart de la République pourtant « une et indivisible », qui voulait oublier ceux qui l’avaient servie, et leurs enfants.
Montage d’archives nationales et personnelles, témoignages autour d’un thé. Les albums photos se feuillettent. On se souvient de la Kabylie, d’un paradis perdu, de ses voisins d’infortune. Sarah cherche à comprendre les motivations du ralliement à la France de chacun. On parle de guerre civile, de jalousie paysanne, de dénonciations intéressées, d’une fille pendue par le FLN parce que des soldats français l’avaient ramenée en voiture, de manipulations pour dresser les gens les uns contre les autres. Les larmes coulent, mais ça fait du bien. Et ceux qui étaient réticents au projet remercient Sarah dont la démarche trouve une justification, qui dépasse sa motivation personnelle initiale. Pour n’en plus parler, il faut avoir dit.
Le 20 septembre 2021, le président Macron demandait pardon pour la nation aux harkis appelant à « panser les plaies » qui doivent être « fermées par des paroles de vérité, gestes de mémoire et actes de justice ».
ÉLISE PADOVANI
N’en parlons plus de Cécile Khindria et Vittorio Moroni a été présenté le 6 décembre à la bibliothèque de l’Alcazar, Marseille dans le cadre du Primed.
Le film est disponible sur France 24 : https://f24.my/9zBI