On ne sait pas si les réalisateurs gazaouis auraient eu le courage de l’humour, même caustique, qui caractérise leur cinéma et ce dernier opus, si leur film avait été conçu après le 7 octobre. La comédie -même noire, dans la tragédie absolue aurait-elle encore pu se glisser là ? Les mots hallucinants de Trump, imaginant la Bande de Gaza en « riviera du Moyen Orient », entendus en voix off au début du film, ont été ajoutés après le tournage. Mais face à la croisade exterminatrice menée par le gouvernement Netanyahu après le massacre perpétré par le Hamas, on ne peut même plus en rire.
Ironiquement, ce délire du 47è président des USA, relie le film palestinien à l’Amérique, et à son cinéma dont Arab et Tarzan Nasser utilisent les codes, affirmant leur cinéphilie tout en dynamitant de l’intérieur ses mythes et son idéologie. Once upon a Time in Gaza sera donc tour à tour un western, un polar, un film de guerre, mais aussi une comédie satirique, un conte philosophique et un pastiche.
Nous sommes en 2007. A Gaza. Le Hamas vient de prendre le pouvoir. Le blocus israélien s’est mis en place. Pour la population, un nouveau quotidien : des immeubles qui explosent sous les bombes; des enterrements de martyres mis en scène : drapeaux palestiniens dressés, photos grand format des défunts brandis par une foule encadrée de combattants qui mitraillent le ciel. Pénurie, inflation, interdictions d’aller en Israël même pour voir ses proches sans autorisation, propagande du gouvernement à la télé et dans les journaux; petits arrangements pour survivre. Aux plans larges de l’Histoire, s’opposent ceux plus resserrés plus intimes de ce quotidien-là, à hauteur d’hommes.
Fiction et balles réelles
Yahya (Nader Abd Alhay), étudiant, rêveur, sans grande assurance rencontre Ossama (Majd Eid), un homme plus âgé, grande gueule et peu enclin à se laisser marcher sur les pieds. Ossama engage le jeune homme dans son petit snack où certains falafels sont garnis de pilules anti-douleurs. Ordonnances volées, petit trafic modeste et « artisanal » qui ne les enrichit guère mais leur fait croiser la route de Abou Sami (Ramzi Maqdisi ), un flic palestinien ripou, chéri par sa hiérarchie. Ossama connait le passé corrompu de Sami qui va l’éliminer.
Plus tard, Yahya est casté pour tenir le rôle principal dans Le Rebelle un film commandé par le Ministère de la Culture (et de la propagande) afin de glorifier la résistance contre l’ennemi sioniste. Ce sera « le premier film d’action produit dans la bande de Gaza ». Pendant le tournage, Yahya croise à nouveau Sami plus puissant que jamais. Le néo-acteur jusqu’alors faible et pleutre, devenu à l’écran un Rambo palestinien, va se transformer en vengeur impitoyable. Les réalisateurs s’amusent de l’intention du Hamas de créer un Gazahood, de ce tournage sans moyens – puisqu’on y tire à balles réelles faute de pouvoir s’offrir des effets spéciaux, de la fabrique du héros au cinéma et en politique.
Ils choisissent, railleurs, ce titre, Le Rebelle, référence au chef d’œuvre de King Vidor, chantre de l’individualisme. Dans Il était une fois à Gaza, les écrans se multiplient comme pour feuilleter le réel et lui rendre, sans manichéisme, sa complexité. Il n’y a pas de rôles féminins dans ce scénario dans lequel la seule chose qui semble échapper à toute raillerie, et laisser un peu d’espoir, demeure l’amitié entre deux hommes, qui n’avaient pas choisi leur histoire.
ELISE PADOVANI
Once upon a Time in Gaza, Arab et Tarzan Nasser
Le film était en compétition à Cannes, Section Un Certain regard. Il a obtenu le Prix de la Mise en scène.
En salles le 25 juin