Le Festival de Chaillol c’est d’abord la rencontre entre des lieux, des musiques et ceux qui les portent et les écoutent. Il ne s’agit pas de semer des séries de concerts ici ou là mais d’effectuer un réel travail en osmose avec les habitants, grâce à un jeu de résidences, de stages ouverts à tous, d’écoute des sonorités de chaque lieu, de chaque dialecte particulier. Les gestes musicaux se retrouvent, se façonnent, se transmettent, dialoguent entre tradition et création. L’art se vit. Les « pas de côté » du festival ajoutent aux propositions musicales le « petit plus » qui donne aux participants l’occasion de vivre une expérience et non juste de consommer du spectacle.
En regard des représentations on pourra suivre une balade accompagnée par Corinne Stanzer avant le temps de musique avec Isabelle Courroy, une initiation à la méditation par l’expérimentation de la respiration consciente avec Claude Devaux-Pico. Savourer les rapprochements entre créations musicales et espaces du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap, rencontrer les artistes lors des « conversations impromptues ». Participer aux ateliers-découvertes de chant collectif auprès de Cécile Voltz, au stage instrumental de musique Klezmer avec David Brossier, de danse Klezmer avec Joanne Lehmann ou au stage de chant yiddish avec Laura Guitot. Ces pratiques communes scellent fortement l’ancrage du festival.
Oser l’inattendu
Le titre de l’édition 2024 du festival, « Aujourd’hui Les Musiques », résonne comme une célébration de toutes les musiques du monde, qu’elles soient traditionnelles, classiques ou jazz et, selon les mots de Michaël Dian, directeur du Festival, « ose l’inattendu ». Les géographies intimes se répondent : les reliefs de l’Afrique, sublimés par le sokou, instrument millénaire monocorde d’Adama Sidibé, sans doute le dernier professionnel aujourd’hui à savoir en jouer, répond au violon de Clément Janinet, sur les mélodies hypnotiques qu’arpentent clarinettes (Hugues Mayot), violoncelle (Clément Petit) et contrebasse (Joachim Florent). Ces entrelacements épousent le cours de la rivière Ourika qui part du Haut Atlas marocain et court vers la vallée qui mène à Marrakech. Clémence Mebsout et Valentin Hoffman composent, improvisent de leurs deux violoncelles, inspirés par une tradition musicale qui n’est pas la leur et fondent le Duo Ourika.
C’est À contre-courant que le violoncelle de Noémie Boutin suit les mots d’Antoine Choplin dans son évocation de la remontée de l’Isère depuis sa confluence avec le Rhône aux rives du torrent de la Séveraissette, puis, sur une commande de l’Espace Culturel de Chaillol plongeront dans les œuvres de Misato Mochizuki, Kaija Saariaho et Jean-François Vrod à la « lisière des tumultes ». Trois « Souffles » répondront aux vents des hauteurs, celui de Samuel Bricault, passionné d’anthropologie, et ses flûtes, traversière irlandaise, bansuri, tin whistle ; puis les flûtes kaval d’Isabelle Courroy qui pétrissent les sonorités avec une inventivité époustouflante, enfin, le galoubet-tambourin de Benjamin Melia.
En réponse, le Duò Lavoà Lapò des deux chanteurs-percussionnistes Manu Théron et Damien Toumi réinvente le répertoire de l’Occitanie. Autre géniale spécialiste des musiques du monde, la chanteuse et multiinstrumentiste Éléonore Fourniau arpente avec son quintet Neynik les terres d’Anatolie, du Kurdistan, de Catalogne, de Bretagne, de Macédoine, de Turquie.
Les instruments se plaisent aux dialogues improbables : la kora de Senny Camara bavarde avec le violon de Sylvain Rabourdin dans Boolo. On part au Portugal et plus loin encore, au Brésil grâce au guitariste Pierrick Hardy et Chloé Breillot qui chante la saudade, la poésie, la vie… Comment tout énumérer tant la programmation est riche ! Les Noces Yiddish du Marine Goldwaser ensemble nous entraînent dans l’univers de la fête yiddish. Le trompettiste Hermon Mehari et le pianiste Alessandro Lanzoni exercent leur liberté dans un Arc Fiction intuitif et virtuose. Le Quintette Calypso tient un « journal de bord » où sont abordés Poulenc, Debussy, Jean Cras, Guy Ropartz et Aurélien Richard sur une co-commande du Festival Supernature et l’ECC. Lucile Dollat joue ses Harmonies poétiques et romantiques sur l’orgue Dunand de la Cathédrale de Gap. La soprano Juliette Raffin-Gay et la pianiste Louise Akili rêvent dans Nature The Gentlest Mother, autour des vers de la poétesse Emily Dickinson et les écrits mystiques de Sainte Thérèse d’Avila par le biais d’œuvres d’Albert Roussel, Lili Boulanger, Fabien Touchard (commande de l’E.C.C.), Mel Bonis, Pauline Viardot, Maurice Ravel et Aaron Copland. Bonheurs !
MARYVONNE COLOMBANI
Festival de Chaillol
19 juillet au 11 août
Divers lieux, Gapençais et Hautes-Alpes