Une voix off en mandarin, commente, accompagne ce qu’on découvre à l’écran : une femme transporte des seaux de haut en bas des escaliers de sa maison alors que l’eau s’infiltre à travers les murs, y creusant des fissures. Alors que des ouvriers ont été appelés pour réparer, ils sont chassés par une voisine « c’est la maison qui pleure ! » affirme t-elle. Le chagrin de cette demeure, c’est celui de Domingas (Cláudia Púcuta), la maitresse de maison, qui s’occupe à contre cœur de son mari, Bessa (David Caracol) malade mais toujours tyrannique. Ce sont deux des personnages du premier long métrage d’Ery Claver, membre du collectif de cinéastes « Génération 80 ». Ils essaient de nouvelles formes cinématographiques qui peuvent désorienter certains spectateurs, comme l’a fait remarquer l’un d’entre eux lors de la projection à Apt.
Des Vierges et un barbier
Peut-être suffit-il de se laisser em-porter et de suivre chacun des quatre personnages de ce film choral. Ne pas s’étonner si le prologue arrive aux deux tiers du film, après le deuxième chapitre, donnant à voir une conférence – banquet, satirique, destinée aux dirigeants et notables de Luanda – dont Bessa – dans un stade où les spectateurs sont remplacés par des vêtements suspendus aux gradins. Un prologue qui donne quelques clés et éclaire un peu ce qu’on pouvait trouver insolite. On peut encore se laisser guider cette voix qui murmure des vers énigmatiques d’une grande poésie ; peut-être celle de ce Chinois qui, figure récurrente, de sa terrasse regarde les autres en bas, ou qui, dans le quartier chinois éclairé au néon, vend des statuettes en plastique de la Vierge, censées soulager tous les maux. On peut compatir au chagrin du jeune Zoyo (Willi Ribeiro) parcourant les rues de Luanda à la recherche de son chien Tobias. Sourire devant un barbier mégalomane admirant une des statues de la Vierge, en plastique et s’exclamant « les Chinois font de belles choses ! » Et surtout espérer que Domingas se remette de la mort de sa fille dont elle juge son mari responsable et trouve sa voie.
À travers cette galerie de personnages, c’est le fossé qui existe entre les cultures et les classes sociales, les traces du passé portugais et de la religion, l’emprise commerciale de la Chine sur l’Angola dont parle ce conte urbain dont les séquences, inattendues, nous font parfois sourire mais surtout nous font réfléchir.
ANNIE GAVA
Our Lady of the Chinese Shop, d’Ery Claver a été présenté lors de la 21e édition des Festival des cinémas d’Afrique du Pays d’Apt qui s’est tenue du 9 au 14 février