Zébuline. Dans le cadre d’une action d’éducation artistique et culturelle menée par le festival Avec Le Temps, des élèves de deux écoles primaires de Vitrolles vont participer à la création d’un spectacle en lien avec votre répertoire. Comment avez-vous réagi à cette proposition ?
Oxmo Puccino. Très positivement. L’énergie de l’équipe de Grand Bonheur et les images d’une précédente édition m’ont convaincu de la nécessité de ce genre d’initiatives. Tous les acteurs et actrices de ce projet ne sont là que pour partager un peu de leur savoir-faire aux enfants, il y a à la fois une dimension pédagogique et sociale, et un objectif final qui est de construire un spectacle tous ensemble. Tout ça fait écho avec ma démarche qui est de transmettre et de partager.
La transmission de valeurs par l’éducation artistique et culturelle est-elle quelque chose qui vous préoccupe et dans laquelle vous vous impliquez ?
Dans tout ce que j’entreprends, j’ai cette idée-là en tête. C’est encore plus vrai à ce moment de ma carrière. L’heure est au partage d’expériences et d’expertises, il faut donner envie aux plus jeunes de lire, d’écrire, de jouer, de chanter. Bref, de créer. C’est aussi une manière de démystifier la notion d’artiste, de mettre en avant le travail, la nécessité de savoir bien s’entourer, d’écouter. Récemment, j’ai eu la chance d’être au théâtre pendant deux mois à interpréter du Marcel Proust. C’est en effet très loin des clichés habituels que l’on attribue aux rappeurs. C’est une manière pour moi de casser les codes et d’ouvrir des portes aux générations futures ; et quand je rencontre des jeunes pour qui c’était leur première fois au théâtre, qui viennent avec leurs parents, c’est à la fois un honneur et une fierté.
Vingt-cinq ans après votre premier album solo, quel regard portez-vous sur la place du rap dans le paysage musical francophone ?
On vit une époque fantastique. Le rap s’est imposé comme un mouvement musical et culturel de manière indiscutable. Il y a vingt-cinq ans, ça ne nous traversait même pas l’esprit. Il y a dix ans, ça paraissait encore impossible. Aujourd’hui le mouvement est tellement large que chacun peut y trouver son bonheur. Cela fait bien longtemps que je dis que le rap c’est la nouvelle chanson française. J’ai le sentiment que c’est un sujet qui ne fait plus débat aujourd’hui. Et c’est une victoire pour toutes celles et ceux qui animent ce mouvement, qu’ils soient dans la lumière ou dans l’ombre. Ce phénomène a des conséquences au-delà de la musique. Dans la mode, dans le journalisme, dans le cinéma, le rap est désormais partout.
Vos collaborations avec des artistes hors des musiques dites urbaines sont nombreuses. Qu’ont en commun Gaël Faye, Ibrahim Maalouf, Olivia Ruiz ou même Florent Pagny et Alizée pour qu’ils et elles vous donnent envie de travailler avec eux ?
Ce qui m’intéresse avant tout c’est rencontrer et apprendre. Ça me paraît aussi évident que nécessaire qu’un artiste fasse preuve de curiosité. Depuis le début, j’ai eu la chance de travailler avec des gens très différents. Gaël, c’est comme un petit frère. La première fois que je l’ai rencontré c’était dans le métro. Quelques jours après, je l’invitais à faire ma première partie à Paris. Depuis on ne s’est jamais quittés. Ibrahim, c’est encore une autre histoire. J’ai toujours admiré les musiciens, les instrumentistes. Nous nous étions déjà rencontrés grâce à -M-, puis il m’a invité pour un titre sur un album et on a fini par faire un album complet ensemble. Pas de calcul. Un peu de folie et beaucoup d’envie. Pour ce qui est d’Alizée ou Florent Pagny, c’est encore différent. Ce sont des personnalités pour qui j’ai eu la chance d’écrire. Je dis bien la chance car cela remonte à bientôt quinze ans. Et à l’époque, c’était extrêmement rare que des gens issus de la pop ou de la variété invitent un rappeur à leur écrire des textes. Comme le dit Orelsan, ce qui compte ce n’est pas l’arrivée, c’est la quête. Et moi je suis en exploration permanente, raison pour laquelle je ne me limite pas à la musique.
Votre histoire est marquée par un parcours migratoire relativement simple par rapport à celui que tentent les exilés d’aujourd’hui. Cette crise de l’accueil en Europe vous fait-elle réagir ?
Je ne sais pas si c’est pire que pour la génération de nos parents qui a quitté pour la France. Une chose est sûre, c’est que cela fait des années que j’entends les anciens alerter sur ce point. Et nous en sommes certainement qu’aux prémisses. On regarde ce problème à travers ces hommes et ces femmes qui fuient leur pays pour un autre. Mais on ne parle pas des raisons qui sont venues s’ajouter aux problèmes politiques : pénurie d’eau, carences en nourriture, changement climatique, etc. Et surtout ce n’est pas un simple problème européen. Nombreux sont les pays dans le monde à souffrir de ces déplacements de population.
La France de 2023 porte-t-elle selon vous le même modèle, le même idéal que ceux qu’elle pouvait symboliser quand vous y êtes arrivé en 1975 ?
Comparer n’apporte jamais rien de bon. Je pense que la France demeure une terre de liberté, l’espoir d’une vie meilleure. Quand vous avez peu, l’ailleurs reste un espoir d’une vie meilleure.
Vous êtes ambassadeur de l’Unicef depuis 2012. Quelles causes prenez-vous à cœur de défendre ?
J’ai commencé à agir aux côtés de l’Unicef en 2010. Jusqu’alors, j’avais toujours refusé de m’engager de manière visible. Et puis je suis devenu papa. Ça prenait d’un seul coup tout son sens de s’impliquer pour l’enfance. Ensemble, on a surtout travaillé sur l’éducation, en France comme à l’étranger. Puis ils m’ont donné la possibilité de les accompagner sur des missions en Haïti, Guinée-Conakry, Soudan, Mali, Sénégal… On ne se rend pas compte de l’implication des gens qui sont confrontés localement à des problématiques très concrètes. Chaque voyage est extrêmement fort à titre émotionnel. En parallèle de tout cela, on a monté une association avec mes deux frères au sein du quartier où nous avons grandi. L’asso s’appelle Courte-Échelle, on fournit un accompagnement administratif et on donne l’occasion aux plus jeunes de rencontrer des gens qui peuvent être des sportifs, des comédiens, des journalistes, des entrepreneurs, des avocats pour créer des échanges, les accompagner dans leurs projets, leur donner un horizon en quelque sorte.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS
Naître Adulte
21 mars
Salle Guy Obino, Vitrolles
culture.vitrolles@ville-vitroles13.fr
Une proposition du festival Avec Le Temps