Depuis 10 ans, Pareidolie, salon international du dessin contemporain, organisé le dernier week-end d’août à Marseille par le Château de Servières, se poursuit à l’automne par une Saison du dessin, temps fort qui se déroule en partenariat avec de nombreux lieux partenaires de Marseille, du territoire métropolitain et régional. Dans ce cadre a été inaugurée le 1er septembre au Mac Le sentiment du dessin. Une exposition dont les auteurs sont des complices de longue date de Paréidolie : l’artiste Gérard Traquandi, associé depuis la 1ère édition, Chiara Parisi, l’une des anciennes présidentes du salon (2017 et 2018), actuellement directrice du Centre Pompidou-Metz, et Jean de Loisy, ancien directeur des Beaux-Arts de Paris, président de Paréidolie depuis 2019. Pour cette exposition, ils ont chacun sélectionné des dessins dans trois collections de référence d’arts graphiques : celle des Musées de Marseille (Chiara Parisi), celles du FRAC Picardie Hauts de France (Gérard Traquandi) et celle des Beaux-Arts de Paris (Jean de Loisy). Chacun·e selon leurs inclinaisons sentimentales, rassemblant des œuvres allant du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
De près, de loin
Le parcours proposé est donc orienté vers le ressenti, voire le poétique : la circulation dans l’exposition est inspirée par des poèmes visuels, commandés par les Musées de Marseille à l’artiste Juliette Green. Se présentant sous forme de diagrammes dessinés directement sur les murs du Mac, leurs titres mis bout à bout forment la phrase : Voir/Dans le paysage/Des corps/ Et deviner/Les âmes. Phrase dont le découpage thématise les différents espaces de l’exposition. Ainsi Voir est introduit par un dessin La longue vue de Puvis de Chavannes, un espace où l’on découvre, par exemple, des petits formats en papier chiffon, papier que l’artiste américain Joël Fisher fabrique lui-même, où il inscrit au stylo feutre les lettres de l’alphabet.
En face, des grands formats (2m x 1m) du mexicain Gabriel Orozco, couverts de bas en haut d’une sorte de trame alvéolée. Trois exemplaires de la série des frottages réalisés par l’artiste, ses assistants, et des passants volontaires, sur les murs de la station de métro parisienne Havre Caumartin en 1999. D’emblée sont introduits les rapports du dessin à l’espace, à la matière, au temps, au geste, au corps, à l’écriture, au rythme. Que l’on retrouve dans Des paysages avec notamment l’installation spectaculaire de plus d’un millier de petits formats, tramant du sol au plafond deux murs en angle, réalisés par Marc Couturier pour L’infini sur terre dans un espace donné. Chaque petit format (des cartes de correspondance japonaises) vu de près présente un gribouillage, et lorsqu’on s’en éloigne évoque un paysage. Petit clin d’œil à la longue vue de l’entrée, rappelant ce jeu entre le macro et le micro, déjà à l’œuvre dans les frottages d’Orozco, tout comme le rapport à l’écriture. Placée en face de l’installation de Marc Couturier, une feuille de tâches d’encre d’Henri Michaux.
Vous les hommes
Les jeux d’associations (clins d’œil, rebonds, correspondances…) sont nombreux dans l’exposition. L’une des associations des plus frontales est celle proposée dans l’espace Des corps avec Mes Enluminures d’Annette Messager – l’une des rares femmes artistes exposées. De la joie, de la rage et de l’application dans l’insulte enluminée à destination de l’homme, sous forme d’une grande ligne installée à l’horizontale, de A à Z : A comme Âne, B comme Brute, H comme Hypocrite, N comme Nul, U comme Ultra-con, S comme Salaud etc. Au-dessus et en dessous de cette ligne, sont exposés des nus masculins (du XVIe au XIXe siècle) – que l’on regarde d’une autre façon, du coup – signés notamment Nicolas Lagneau, Puvis de Chavannes, François Boucher, Le Guerchin, Carl Van Loo, et d’anonymes. Auraient-ils approuvé cette mise en scène de leurs dessins ? Ils ne sont plus là pour le dire. Sur le mur d’en face se trouvent trois diptyques de Mathieu Kleyebe Abonnenc Paysage de traite. Des grands formats en noir et blanc sur lesquels s’enroulent des trames de lignes noires, autour d’espaces vides, blancs, vertigineux. L’artiste, d’origine guyanaise, a redessiné une série de gravures coloniales du XIXe siècle, en les expurgeant des traces de la présence coloniale, laissant à la place ces espaces vidés, disponibles pour d’autres imaginaires.
MARC VOIRY
Le sentiment du dessin
Mac, Marseille
Jusqu’au 19 novembre
04 13 94 83 49/54
musees.marseille.fr