Avez-vous besoin d’une mise en scène qui vous fera passer pour un héros aux yeux des autres ? D’un spécialiste de musique contemporaine que vous présenteriez comme votre ami pour éblouir vos invités ? D’un coach en dispute pour tenir tête à un mari autoritaire ? Ou même d’un fils pour faire votre éloge et favoriser votre élection à la tête d’un club huppé ? Aucun problème, la société Mon Compagnon – Amis à louer, vous procure un professionnel. Pas un comédien, précise-t-on, puisqu’il interviendra dans la vraie vie, mais quelqu’un qui jouera le rôle ! Dans cet emploi, Matthias (excellent Albrecht Schuch) est le meilleur. Il accumule sur le Net les avis favorables. Son patron, David ( Anton Noori) le comble d’éloges et de gros câlins.
Blond, menton rasé, moustache peignée, aussi lisse que son brushing, aussi insipide qu’un animateur de télé-réalité, Matthias endosse la personnalité que ses missions exigent de lui, n’en ayant que très peu dans la sphère privée. Sa maison luxueuse est un univers design, clinique, high-tech, chic et toc, fait pour épater les visiteurs, et dirigé par la domotique. Lui même semble être le robot parfait tel que la science fiction l’a parfois imaginé. Coque vide, sans avis, sans sentiment, passif. Il faudra que sa femme (Julia Franz Richter), lasse de cette inauthenticité chronique et de l’ennui qu’elle génère le plaque, pour que l’humanité revienne peu à peu chez Matthias et déstabilise son petit monde. Le grain de sable introduit dans le mécanisme impeccable de sa vie va déclencher un enchaînement de gags, drôles et grinçants.
Comédie noire, satire sociale dans la lignée de Ruben Öslund et Yórgos Lánthimos, Peacock se distingue par son écriture au cordeau. Rien n’est laissé au hasard. Rien n’est gratuit. Des couleurs de style publicitaire à la symétrie obsessionnelle des plans. De la topographie de la villa de Matthias où on descend par un large escalier à la piscine trop bleue pour être honnête. D’un plombier-femme appelée par erreur à un chauffe-eau devenu menaçant. D’une performance de peinture corporelle à l’incroyable final dans un château-spa … Tout concourt à une réjouissante efficacité.
A l’instar de la musique du jeune compositeur Lukas Lauermann qui dialogue avec l’image, épouse les ruptures de ton, compense ou contredit. Là où les émotions sont en rétention, les cordes vont chercher la vibration. L’orchestration, le décalage.
Le titre : Peacock renvoie à l’irruption d’un paon dans un centre de bien-être pour riches cadres en burn out, où on pratique la méditation sur pelouse et le qi jong nudiste. Le paon et sa roue « pathétique », est accompagné tout au long du film d’un bestiaire tout aussi symbolique : chiens de location décoratifs, ours polaire statufié dans l’entrée glacée de la maison, canard tombé dans le break noir de Matthias.
Le réalisateur autrichien, très pince sans rire, souligne l’absurdité du théâtre social, s’aventure dans le thriller, le surréalisme. Il brode avec causticité mais sans méchanceté, le fil du vrai et du faux.
Suis-je réel ? se demandera Matthias. Fausses larmes et vraie détresse. Rires jaunes, et final ambigu : le protagoniste se libèrera peut-être mais la société reste empêtrée dans les faux semblants, les faux récits.
ELISE PADOVANI
Sortie 18 juin
Prix de la mise en scène MCM 2025