La reprise de la pièce dans une version frontale, 12 ans après sa création, joue à guichets fermés durant toute la tournée prévue. Elle relève pourtant d’un pari audacieux, celui de reprendre le texte avec la même distribution, qui a vieilli, et dans une frontalité de théâtre qui ne les inclut plus dans un espace commun avec le public, comme en 2013, où les spectateurs se faisaient face. S’interrogeant sur ce qui unit, attire, déchire les couples, La Réunification des deux Corées 2.0 reste tout autant dépressive, à la fois désespérée et drôle, avec un puissant relent de naphtaline qui surgirait de tiroirs anciens brutalement – mais temporairement – rouverts.
Désarrois de l’amour
Les 20 tableaux sont des scènes de genre, inspirées d’un théâtre de boulevard où les excès ne seraient plus ceux des quiproquos absurdes et des infidélités cachées comme chez Labiche ou Ruquier, mais des crimes et des désespoirs banals, communs comme des faits divers. Joël Pommerat nous demande, à 20 reprises, pourquoi nous cherchons à nous unir, nous réunir, nous désunir, avec tant d’insistance. Jusqu’où nous acceptons d’aimer l’autre et ce que signifie sa perte.
Les scènes les plus drôles – celle où une femme est sur le point d’épouser un homme quand elle apprend qu’il a aimé, avant elle, toutes ses soeurs (4!), celle ou un mari et une femme, voisins, attendent leurs époux respectifs, qui visiblement couchent ensemble – laissent apparaître, au-delà de leurs invraisemblances cumulatives, des désarrois que le boulevard ne connaît pas.
Un effroi qui tourne à l’horreur quand une femme réconforte son mari, tueur en série, lui assurant qu’elle aime ce qu’il y a de bon en lui ; ou quand un instituteur dévoile peu à peu son amour pour un jeune garçon qu’il a (l’a-t-il ?) abusé ; quand une femme demande à sa compagne de lui rendre son cœur, d’effacer ses traces, avant de la quitter. La scène la plus forte demeure celle d’une femme qui oublie son mari chaque jour, et le récit quotidien qu’il lui fait, de leur amour, de leurs enfants, de leur désir, avant de la perdre à nouveau.
Chacune de ces scènes s’inscrit dans des couloirs de lumières projetés au sol, des fantômes d’espaces, des motifs surannés, des perruques et des costumes grisonnants venus d’un temps disparu. Des spectres du passé surgissent parfois, qu’on étreint puis qu’on éconduit. Les voix murmurent, les cris jaillissent comme des exceptions, des tonnerres. Réunir les deux Corées, parties d’un même être irréconciliable, est décidément impossible.
AGNES FRESCHEL
La Réunification des deux Corées
26 et 27 mars
La Garance, Scène nationale de Cavaillon
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