Le spectacle d’Ahmed Madani ne ressemble pas tout à fait à ses précédents. Alors que Illuminations, F(l)ammes ou Incandescence(s) donnaient voix à des jeunes en difficulté sociale et marqué·es par l’histoire coloniale, Entrée des artistes s’attache à des apprenti·es comédien·nes dans une école supérieure de Lausanne financée par des milliardaires. Pourquoi cet écart ? Il n’est qu’apparent.
L’écriture de Madani repose sur un processus qui fait surgir les vérités intimes de ses comédiens, amateurs ou pros, lors d’ateliers de parole. Écoutant les histoires personnelles avec leurs douleurs, leurs traumatismes, les révoltes et les éclats de tendresse de chacun·e, il écrit ensuite des monologues et des chœurs très précis où les personnes réelles se transforment en leur propre personnage. Avec une illusion de « naturel » qui donne une impression d’improvisation dans une partition pourtant très écrite, tant au point de vue du texte que de la mise en scène.
Jouer au-delà de soi
Ce sont donc des bouts de « réel » qu’il attrape et restitue. Demander vraiment à des jeunes acteurs pourquoi ils font du théâtre, touche, lorsqu’on creuse comme il sait le faire, à des vérités fondamentales.
La nécessité ressentie d’incarner, de jouer au-delà de soi, de sa conscience, de son corps, de donner au public, est un voyage que chacun·e de ces jeunes a entrepris avec une motivation puissante. Pour s’affirmer contre la bourgeoisie de droite de Neuilly ou de Neuchâtel, contre des parents violents ou dysfonctionnels, une mère miroir, des harcèlements, des silences, un inceste. Chacun de ces monologues est d’une humanité extrême, écrit avec force et pudeur, convoquant le conte, le comique, la chanson, pour euphémiser un peu les douleurs.
Et porter les combats : car ces jeunes gens parlent l’inclusive, refusent fermement la domination masculine, ont un regard acéré sur l’enseignement qu’ils ont reçu et le monde où ils vivent. Qu’ils veulent changer, avec une force puisée dans l’amour du théâtre. Qui n’est pas si loin de celle des cités populaires.
AGNES FRESCHEL
Entrée des artistes a été joué le 18 novembre au Théâtre de La Colonne (Miramas) et les 20 et 21 novembre au Zef, Scène nationale de Marseille.
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