Larmes Blanches est une des premières pièces du chorégraphe, écrite juste après Marché Noir en 1985, et filmé en 1986, avec Nuch, Catherine Beziex, Christophe Haleb et Angelin Preljocaj lui-même à l’interprétation. Si les quatre danseurs sont loin d’aller aussi vite et ample que les interprètes d’aujourd’hui, le style Preljocaj est déjà là : musique baroque et contemporaine qui s’opposent, chemises blanches à larges jabots contrastant avec des pantalons noir en cuir, hommes et femmes portant les mêmes vêtements et faisant les mêmes gestes, obliques et secs, entrecoupés par des portés plus souples. Et surtout : phrases chorégraphiques longues et complexes, avec une difficulté de mémorisation, donnée en pâture à l’œil du spectateur, puisque les couples dansent à l’unisson, et que chaque décalage se voit. L’effet waouh, qui s’appelait alors autrement, était déjà là, dans ce quatuor amoureux à couteaux tirés, à l’arme plutôt que larme blanche.
Le duo masculin Un Trait d’union, créé en 1989 lui aussi par Christophe Haleb, et Alvaro Morell, est porté par Glenn Gould interprétant le 5e concerto pour piano de Bach, et la création de Mark Khan qui vient l’interrompre. Un fauteuil de cuir, évoquant le confort ou l’analyse, trône au centre, enjeu de possession, objet de jeu entre deux hommes qui cherchent à établir un lien, dans une danse très physique, acrobatique, faite de sauts, d’arrêts brutaux, de départs contrariés, d’enlacements brefs et d’entêtements à fuir, à s’empoigner, à refuser l’abandon. Masculin ?
Mystère mystique
Annonciation, autre chef-d’œuvre, est un duo féminin qui n’a… que trente ans ! La pièce n’est jamais sortie du répertoire du Ballet Preljocaj, a été dansée par de très nombreux ballets internationaux, et fait l’objet d’un très beau film, réalisé par le chorégraphe dans le parking de La Friche Belle de Mai, avec Claudia de Smet et Julie Bour, les interprètes originelles.
Le duo repose sur un sujet mystique, comme plusieurs pièces de Preljocaj, et sur cette figure picturale de l’ange Gabriel, asexué mais guerrier, rencontrant la Vierge Marie et lui annonçant qu’elle est enceinte, immaculée, portant le fils de Dieu. Preljocaj, clairement, en fait une rencontre charnelle, où l’enfantement n’est pas qu’une annonce mais un geste, une bataille, une acceptation, un tourment. Le Magnificat de Vivaldi, grandiose, est entrecoupé de rires d’enfants, et de la composition électroacoustique combative de Stéphane Roy. La maternité est vue comme un mystère, bouleversant la femme, la projetant vers un avenir hors de sa chambre fermée, porteuse de plus qu’elle-même, en lien direct avec le vivant.
Ce nouveau triptyque de pièces anciennes est joué par deux distribution différentes, et peut ainsi être donné à Aix-en-Provence et en Suisse en même temps, tandis que le reste du Ballet danse Requiem(s), création 2024, à Caen. Avant une reprise du Lac des Cygnes avec orchestre à Paris, pour conclure une année 2024 trépidante, et commencer une année 2025 qui passe par le Théâtre Durance les 9 et 10 janvier. Avec cinq pièces en tournée, dont la reprise d’Helikoptere et une création, le Ballet Preljocaj est une entreprise culturelle qui marche, et finance en partie les invités du Centre chorégraphique national aixois !
AGNÈS FRESCHEL
Annonciation, Un Trait d’union, Larmes blanches
Du 19 au 22 décembre
Pavillon Noir, Aix en Provence
Annonciation, Torpeur, Noces
9 et 10 janvier
Théâtre Durance, Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban