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Prétextes foireux et théâtre populaire

« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Sagesse populaire, dit-on, même si le dicton est une réplique de théâtre apparue dans la bouche d’une servante de Molière (l’alexandrin aurait pu alerter) congédiée par une « femme savante » pour un prétexte grammatical. Alexandrin suivi d’un autre « Et service d’autrui n’est pas un héritage » qui relie dès l’entrée l’utilisation de prétextes foireux à des rapports de classe. 

« Le peuple c’est mon père »

Le théâtre s’adresse au peuple et le représente sur scène dès ses origines et de façon constante, à quelques parenthèses historiques près. Le Pop Art ou l’opéra populaire italien ne sont que des moments de l’histoire mais le théâtre, écrit et joué pour le peuple à Bali, Kyoto, Épidaure ou Constantinople, a (presque) toujours voulu atteindre le plus grand nombre, autrement dit le peuple. Ou tout un chacun, « mon père » disait Jean Vilar, refondateur du Théâtre National Populaire et inventeur du « Théâtre de service public ».  

À visée de propagande religieuse ou d’édification citoyenne, le théâtre, depuis les temps antiques, par le divertissement ou l’émotion, veut corriger les mœurs ou purger les âmes des passions (mot qui au sens littéral désigne ce qui fait souffrir). Ainsi, thérapeutique, il ne peut guère restreindre son audience à une élite, puisqu’il a pour vocation de faire progresser culturellement ses spectateurs. 

Pas toujours pour la bonne cause, d’ailleurs : il veut les assimiler quand il est colonial, et leur faire admettre les dominations de classe, de genre ou de dogme liées au type de gouvernement exercé sur le peuple. Mais dans ce but même, il a toujours cherché à parler au plus grand nombre possible.  Jusqu’à ce qu’il se trouve en concurrence, depuis peu à l’échelle de son histoire, avec les médias de masse marchands puis les réseaux sociaux possédés par de grands groupes capitalistes. Ceux-ci n’ont pas pour ambition d’édifier des citoyens cultivés (pour maintenir ou renverser le pouvoir) mais d’abrutir des consommateurs monétisés en envahissant leur « temps de cerveau disponible ».

Public trop cultivé 

Dans ce contexte nouveau, le théâtre est devenu un lieu de résistance et, sa marginalisation progressive n’aboutissant pas assez vite à sa disparition, l’accusation d’élitisme apparaît, comme le prétexte foireux de la rage. Elle s’exacerbe depuis que les artistes se sont illustrés après les élections, en trouvant une audience publique importante et redoutée, pour contrer les progrès électoraux de l’extrême droite, dont les électeurs sont très majoritairement peu ou pas diplômés.

Et voilà que le livre de Marjorie Glas Quand l’art chasse le populaire, vulgarisation de sa thèse de 2016 parue en 2023 chez Agone, fait tout à coup l’actualité, diffusant l’idée désormais admise que « le théâtre s’est recentré sur lui-même » et que son « utilité sociale » n’est qu’une « croyance ». Télérama diffuse, Radio France persiste, La Semaine de la pop philosophie marseillaise l’invite pour qu’elle expose « le lien entre l’effondrement de la gauche et la désaffection des classes populaires dans le théâtre public ». Diantre, comme dirait Molière, la télé et les réseaux sociaux n’y sont donc pour rien, la main mise des grands groupes capitalistes sur les médias pas davantage ? La désaffection supposée du public populaire – nombre d’indicateurs contradictoires existent à ce sujet – serait donc due à l’entre-soi d’artistes qui prônent le multiculturalisme devant des audiences trop éduquées pour être honnêtes ? 

Chien enragé ou monture fidèle ? 

 « Qui veut voyager loin ménage sa monture », écrivait Racine dans Les Plaideurs, figurant lui aussi la sagesse populaire, dans son unique comédie, par le recours à l’imagerie animale. Peut-être les sociologues, historiens, philosophes et metteurs en scène déconcertés, feraient-il bien d’arrêter l’usage de la cravache et des coups d’éperons qui massacrent ceux qui travaillent à transmettre la culture et les arts ?  

Nous vivons une heure grave, où leurs arguments partiels et datés servent de caution à l’assèchement, dramatique sinon tragique, des financements d’État. Où les réactionnaires divisent pour mieux régner, et imposer la fin des subventions culturelles aux collectivités. La plupart sont aujourd’hui convaincues que la culture est un luxe de classe et, dans un contexte de restriction budgétaire imposé, toutes s’apprêtent à couper d’abord dans ces budgets.  

« Tant va pot à l’eve que brise », disait le Roman de Renart. Tant va la cruche à l’eau… octosyllabe pour le coup populaire ? 

AGNÈS FRESCHEL

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