Quoi de plus banal que la rencontre furtive entre un homme et une femme ! Mais si l’action se situe dans une salle isolée d’un aéroport où les protagonistes sont coincés faute de voir leur avion décoller sous une tempête de neige, la scène se corse. Un lieu insolite pour un tête-à-tête hérissé de craintes, de désirs, de curiosité où se glisse le plaisir de la conversation. Auteur contemporain, Philippe Beheydt déploie une fois de plus son talent de dramaturge et de scénariste. Dans cet Aéroport on sent que quelque chose de peu ordinaire va nous ébranler. Elle, silencieuse, volontiers désagréable, rejette toute tentation de « se faire de nouveaux amis ». Lui, un rien hâbleur, s’incruste, lui propose des jeux drolatiques, invite à révéler quel était le rêve de l’enfant qu’on a été. La belle se laisse prendre, ou feint de se laisser prendre…
Escale amoureuse
Avec un dialogue calibré qui entraîne les personnages dans des aveux, des lâcher-prises déconcertants, on éprouve très vite une tendresse pour ce couple éphémère. Philippe Beheydt instille des non-dits éloquents chez ces fracturés du bonheur, ou plutôt ces autistes du bonheur. Avec L’aéroport, la solitude, le mal effrayant de ce siècle, est brisée pour un court laps de temps, suspendu dans cette salle confortable (joli décor de Géraldine Mine) où braver un interdit (aimer dans un lieu singulier) donne un piquant supplémentaire à la rencontre. Laura Favier et Philippe Beheydt jouent avec les mots, avec les gestes, avec leurs regards qui, quoi qu’il arrive, finiront par se diluer dans le vide. Émotions à fleur de silence, sourires au détour d’une réplique facétieuse, cette comédie des cœurs brisés suscite une impalpable nostalgie : pourquoi n’avons-nous jamais vécu cette jolie histoire ? Ce rêve inassouvi qu’ont vécu une femme et un homme aux prénoms aveugles.
Jean-Louis Châles
« L’aéroport » est donné jusqu’au 29 juillet à Présence Pasteur.