Le décor représentant l’intérieur d’une piscine en petits carreaux blancs, avec son plongeoir, son escalier et son échelle, dans laquelle les chanteurs évoluent, est impressionnant de réalisme. En fond de scène, sont projetées des vidéos sur grand écran. Elles sont un élément essentiel de la mise en scène de Jean-Philippe Clarac et d’Olivier Deloeuil, habitués avec leur Lab à mélanger les genres d’expression dans des productions pluridisciplinaires. Ellesdéroulent les ébats de petites championnes de natation synchronisée qui s’échauffent, babillent et se confient à la caméra. On leur demande de se maquiller -trop-, de sourire -tout le temps-, de se comporter comme des petites sirènes évanescentes -pourquoi toujours petite ? s’interrogent-elles-, leurs corps de jeunes pubères, qui enchaînent des chorégraphies désuètes,sont livrés en pâture aux spectateurs sur scène et dans la salle. Transposer ainsi l’histoire de La Petite sirène dans le monde des petites nageuses était un pari osé, même si on perçoit immédiatement la résonnance avec le conte d’Andersen. Pari réussi.
Retour aux sources
C’est un retour aux sources pour cette œuvre dont la première représentation en France eut lieu à Marseille en 1982. Le livret écrit par le tchèque Jaroslav Kvapil met en scène Rusalka, créature des eaux -la somptueuse Cristina Pasaroiu-, qui avoue à son père Vodnik, l’esprit du lac, devenu un manager libidineux sous les traits de la basse Mischa Schelomianski, qu’elle est amoureuse d’un prince, humain -le ténor Sébastien Guèze-, en habit de James Bond. Elle décide de quitter son père et ses sœurs de bassin pour vivre son amour terrien. Pour cela, elledoit demander à la sorcière Jezibaba de l’aider à devenir une femme. Cette dernière exauce ses vœux. Rusalka peut rejoindre le monde des humains mais devra perdre sa voix, se taire. Exilée loin d’un monde aquatique de conte de fée, souligné par la harpe, un univers factice et artificiel certes mais protecteur, la jeune femme bascule dans l’univers violent, des chasseurs,des hommes avides de possession, prompts aux faux discours et à la trahison. Le prince, d’abord épris de cette beauté silencieuse, sauvage comme une biche blanche, la délaisse pour une princesse étrangère –Camille Schnoor. Dès lors, Rusalka tourne en rond comme un poisson rouge dans un bocal, ni sirène, ni femme, ni vivante, ni morte, rongée par son incapacité à hurler à haute voix sa colère ou sa tristesse. La soprane roumaine à la voix de velours Cristina Pasaroiu tient la scène de bout en bout, émouvante dans le Chant à la lune du premier acte, puis rebelle, puissante, fragile et désespérée. Elle s’avère une actrice exceptionnelle, brille et éclipse les solistes hommes dans cette partition qu’il est vrai ne leur rend pas hommage. Les chanteurs et petites danseuses évoluent sur scène ou dans les vidéos,dans une mise en abyme qui sert puissamment la dramaturgie du spectacle.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Rusalka a été donné les 11, 13 et 16 février à L’Opéra de Marseille
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