Il y a la solennité des artistes en noir qui nous accueillent dès le couloir du lycée Saint-Joseph et des bruits secs et réguliers générés par des mobiles en bois sur des pots de céramique. Et puis il y a l’hilarité déclenchée par la fausse maladresse de Blaï Mateu Trias qui brise un des vases en céramique disposés de part et d’autre de la scène et s’ingénie à en refaire un. La compagnie Baro d’evel a l’art et la manière d’happer le spectateur dans son univers et s’amuse des antipodes. Issue du milieu circassien, dirigée par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, elle rassemble douze artistes, issus de tous les arts, autant pour nous divertir que pour nous confronter à ce que nous croyons être en partant du corps et de ses apparences.
Un spectacle total
Qui som ? est inclassable, polymorphe et plein de vitalité. Convoquant aussi bien les codes du cirque que ceux du théâtre, la danse contemporaine que la performance, le chant que la musique ou les arts plastiques, les artistes glissent avec aisance d’un art à l’autre. Leurs corps habitent la scène dans leurs acrobaties souples, leurs clowneries, leurs chansons et leurs répliques. Le spectateur est embarqué dans un voyage sensible où vue, toucher et ouïe sont stimulés grâce au potentiel sonore de la cour et à son gigantisme : piétinement collectif des bouteilles en plastique jonchant la scène et résonnant comme le ressac de la mer, montagne sombre au centre du plateau qui s’élève soudain en rouleaux de vagues, ou bien visages masqués par des pots d’agile crue modelés à l’envi. Les matières se retravaillent dans les gestes, se détruisent et acquièrent, dans leur reconstruction, un nouveau pouvoir.
Qui sommes-nous vraiment ?
Ne pas regarder son téléphone pour faire attention à l’autre, nous conseille avec le sourire Camille Decourtye au début du spectacle. Se souvenir que l’on fait partie d’un grand tout. Qui som ? explore toutes les possibilités d’existences humaines avec humour et inquiétante étrangeté. Un trio de danseuses expérimente de nouvelles manières de se déplacer et de communiquer. Les artistes tordent leurs identités et interrogent les nôtres. La question, qui n’a d’évidence que l’apparence, est alors ouverte : qui sommes-nous vraiment ? Des êtres de plastique comme le suggère la marée de bouteilles qui vient s’échouer aux rivages du plateau ? Des humanoïdes aux visages d’argile déformés ? Des désespérés ou des engagés ? Après le salut et un discours poétique et politique de Camille Decourtye, les artistes jouant en fanfare, enjoignent les spectateurs à les suivre dans la rue, là où tout a commencé pour la compagnie, et là où commencera la résistance pour l’art et pour un monde meilleur.
CONSTANCE STREBELLE
Qui som ? a été donné du 3 au 14 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph dans le cadre du Festival d’Avignon.