Ébats d’enfants dans l’eau, courses à travers champs : des vidéos de vacances en famille ouvrent le film. Puis on embarque dans une voiture. Une forêt file vers la montagne. D’autres images surgies du passé parasitent ce présent-là sans qu’on puisse les relier immédiatement au couple et à l’enfant qui sont dans l’habitacle. La mère parle « drôlement ». On comprend qu’elle est sourde « oralisante ». « Elle entend pas la moto » comme dira le garçonnet.
On met un moment à réaliser qu’on est dans un documentaire, que ces gens ne jouent pas un rôle. Manon, son mari et leur fils Matteo se rendent dans le chalet des parents de Manon : Laurent et Sylvie, qui les attendent avec impatience. C’est le premier été de Matteo dans ce chalet de Haute-Savoie. Déjà, on l’inscrit dans l’histoire familiale en marquant sa taille sur un pilier de bois, témoin-totem de sa croissance, d’un été sur l’autre.
Barbara, la sœur de Manon ne viendra pas. Et on devine très vite que tous ont vécu un drame dont aucun n’est sorti indemne. Maxime, le frère cadet, sourd lui aussi, est mort, quelques années auparavant. Une célébration est prévue en son honneur en cet été paradisiaque : gravir la montagne, faire corps et pacte, là-haut, pour lui, pour eux.
On va de l’avant. Manon aura un autre enfant. Laurent est sorti d’une thérapie. Il construit un mur avec son petit-fils. Le passé est là, au même titre que le présent mais jamais ne le tire vers l’arrière. Dans les films anciens, Manon est tour à tour enfant, jeune fille, femme. Sur les clichés des albums, Matteo ressemble à Maxime. Manon à sa mère. On ne sait plus parfois qui est qui. Les absents, Barbara et Maxime existent à l’écran. Les enregistrements archivés et les nouvelles images tournées par la réalisatrice cohabitent et pactisent.
« Miroir grossissant »
Aucun commentaire, aucune interview ne sont nécessaires pour reconstituer le parcours de cette famille. On comprend comment les handicaps de Manon puis de Maxime ont été vécus par les autres et par eux. On imagine les épreuves de chacun : l’opération de l’un, puis de l’autre, les difficultés de supporter l’implant, l’isolement dans le groupe, l’absence de prise en charge par l’Éducation nationale, les traumatismes, le découragement, les colères quand le rêve de gymnaste de Manon se casse. On pense à la douleur de Barbara, celle qui ne partage pas la surdité de ses sœur et frère – devenue sans hasard, orthophoniste. On écoute les doutes des parents sur leurs choix. Les confidences sont nombreuses dans ce film, intégrant le langage des signes et les oralisations des malentendants. Parfois Manon ôte sa prothèse auditive et nous laisse dans le silence. Comme en apnée. La femme forte, sportive, combative, douée pour le bonheur s’autorise le break.
Dominique Fischbach a rencontré la solaire Manon voilà vingt-cinq ans, alors qu’elle travaillait sur la fameuse série documentaire Strip-tease. Avec sa caméra, elle a accompagné l’évolution de sa famille. Le temps est un facteur essentiel pour ce type de documentaire. Il permet la mise en perspective, la confiance et la mise à nu.
On pourrait croire que l’intimité de ces gens-là ne nous concerne pas. Mais si leur histoire nous bouleverse tant, c’est bien parce qu’elle universelle. « Le handicap, dit la réalisatrice, est un miroir grossissant. Bien sûr je veux que le film soit utile sur la surdité et l’inclusion mais c’est avant tout un film sur la parole. » Il s’agit de s’écouter et de s’entendre par tous les moyens. Toujours.
ELISE PADOVANI
Elle entend pas la moto de Dominique Fischbach
En salle le 10 décembre
Toutes les salles qui sortiront le film à partir du 10 décembre le sortiront en français sous-titré en français et certaines pourront proposer aussi – à la demande – la version sous-titrée SME ou bien la version en audio-description.






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