jeudi 23 janvier 2025
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« Shimoni », un drame austère et intense

En pleine ruralité kényane, Angela Wanjiku Wamai questionne le poids des secrets, de la violence et de la rédemption

« J’ai toujours été fascinée par la capacité des secrets à paralyser, leur capacité à consommer les individus, les familles et les sociétés » déclare la réalisatrice kényane Angela Wanjiku Wamai. Avec Shimoni, son premier long métrage, elle met en scène cette puissance des non-dits, la souffrance lancinante des traumatismes et la violence qu’elle engendre. Shimoni désigne en swahili, une fosse. C’est le nom symbolique du village où Geoffrey, ancien professeur d’anglais, au sortir de sept ans de prison pour féminicide, est conduit par un prêtre. Là, il devra survivre à la liberté comme il a survécu à son incarcération. Là, guidé par le père Jacob (Sam Psenjen), il travaillera à sa rédemption par l’étude de la bible et les taches agraires. Banni par sa famille, haï par sa belle-famille, tenu responsable de la mort de son propre père, c’est le seul endroit qui puisse l’accueillir. Pour autant qu’il n’y soit pas identifié et que personne ne sache rien de son parcours. Ce village est celui de sa grand-mère chez qui il a résidé enfant avec son frère aîné. Village où ils ont été abusés sexuellement par Weru (Daniel Njoroge), un homme qui y vit toujours, en bon père de famille.

Personne ne reconnaît Geoffrey, le citadin intello dont on se moque parce qu’il ne sait pas traire les vaches, ni tenir correctement une scie chez le fabriquant de cercueils qui l’emploie. Le village cancanier se pose des questions et les bons paroissiens professant le pardon des péchés, seront bien prompts au lynchage. Malmené par Grand-mère Martha (Muthoni Gathecha) maîtresse-femme, volubile et roublarde, aguiché par la rieuse Béatrice (Vivian Wambui), obsédé par son passé de victime et de bourreau, isolé dans un silence qui fait cilice, rongé par une rage lancinante, prête à exploser, Geoffrey incarné par Justin Mirichii, reste fermé, concentré sur l’effort de ne pas exploser.

La jeune réalisatrice nous colle au personnage. Elle donne avec parcimonie et très progressivement, les informations nécessaires pour reconstituer un peu de son histoire. Sans flash back sur les crimes commis, sans explicitation, sans sentimentalisme, grâce à la précision de sa mise en scène, elle crée une tension constante. La musique originale du talentueux guitariste Kato Change, l’importance des scènes nocturnes et les cauchemars récurrents du protagoniste, participent à un climat de catastrophe imminente. Chronique de la ruralité kenyane, on entend dans Shimoni, l’anglais, le swahili et le kikuyu – langue natale d’Angela Wamai. On suit la vie d’une communauté autour de son église. On pressent les fractures entre villes et campagnes, les enjeux de l’éducation, les dénis – là-bas comme ici – des crimes sexuels. On entend aussi, en écho à la tragédie de Geoffrey, un conte africain effrayant dans lequel un ogre change un enfant en panier. Dans la vraie vie, les ogres existent. Et leurs petites victimes ne se libèrent jamais de leurs maléfices.

ÉLISE PADOVANI

Shimoni, de Angela Wanjiku Wamai

En salles le 22 janvier

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