Voilà plus de vingt ans que Bertrand Chamayou partage son compagnonnage avec Maurice Ravel, auquel il a consacré un enregistrement inégalé en 2016. Et plusieurs mois qu’il parcourt les scènes lyriques pour l’y déployer dans son intégralité. Loin de toute démonstration, le récital s’est imposé comme une confidence de deux heures et demie.
Dès les premiers accords du Prélude en la mineur, on comprend qu’ici, la clarté sera reine. Nulle emphase ou épate dans l’approche ; tout est mis au service de l’architecture, unique et inimitable, du détail troublant, de l’intelligence musicale. Miroirs s’ouvre sur une Barque sur l’océan évoquant déjà les reflets irisés de Jeux d’eau : à rebours du spectaculaire, le flot ne jaillit pas : il sourd. Il ne cherche pas l’extase, mais l’évidence.
Une poétique du seuil
Les influences baroques de l’hommage à Chabrier, ou du sublime Tombeau de Couperin demeurent présentes sans se faire écrasantes. La Fugue n’a notamment rien de scolaire : elle respire comme une méditation. Si Bertrand Chamayou rappellera le temps de quelques mots les deux penchants du compositeur, l’un pour l’impressionnisme, l’autre pour les fondements de son art, il prendra soin de laisser ces deux approches non pas s’opposer, mais se compléter. Sa Pavane pour une infante défunte résume peut-être à elle seule ce goût de la synthèse : le chant intérieur y résonne comme un cantus firmus renaissant, tandis que les accords déliés rappellent les esquisses modales de Debussy.
Gaspard de la nuit, sommet tant attendu, tant techniquement qu’interprétativement, est abordé ici comme une traversée intérieure. Ondine tinte de tout son éclat ; Le Gibet s’étend comme une lamentation stoïque, Scarbo voltige sans esbroufe mais avec puissance. La constante mise en tension du texte et du silence impressionne ici par sa justesse.
SUZANNE CANESSA
Concert donné le 13 juin dans le cadre du festival La Vague Classique, Six-Fours-les-Plages.
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