« Pourquoi vous me regardez comme cela ? », nous interpelle Elody, regard caméra. Et de poursuivre : « vous avez l’air de chercher quelque chose… j’espère que ce n’est pas l’amour. Ce n’est pas ici que vous le trouverez. » En lettres d’un rose éclatant, s’inscrit le nom du club de strip-tease, à mon seul désir. Du nomdu dernier film de la cinéaste Lucie Borleteau dont on avait a déjà apprécié Fidelio ou l’Odyssée d’Alice… À mon seul désir, sixième toile, de la tapisserie médiévale La Dame à la licorne.
« Vous n’avez jamais été dans un club de strip-tease ? Mais vous en avez déjà eu envie. Au moins une fois… vous n’avez pas osé, c’est tout. » Celle qui a osé, qui veut faire un essai, c’est Manon, une jeune étudiante sans aucune expérience, qui plonge dans cet univers souterrain. Ce sont aussi les spectateurs qui, peut être, ont quelques idées préconçues voire quelques préjugés. Durant près de deux heures, Lucie Borleteau nous emmène dans ce club, nous faisant découvrir les coulisses, les spectacles et les corps des femmes. Corps effeuillés, lentement, car la lenteur captive l’auditoire ! Corps découverts par les yeux de Manon (Louise Chevillote) qui a choisi comme pseudo Aurore comme la Belle au bois dormant. Corps regardés par des hommes, émerveillés, subjugués qui, parfois, se paient en plus un « salon » : un moment en tête à tête avec Mia (Zita Hanrot), Elody (Laure Giappiconi), Savannah (Sieme Milady) ou Sati (Yuliya Abiss).
Libres et sans craintes
Toutes ont choisi ce qu’elles font, par curiosité. Parce que cela paye mieux qu’un emploi de caissière, parce qu’elles aiment être regardées pour se préparer à jouer sur d’autres scènes. Comme Mia, comédienne qui prépare le conservatoire et qui monte un soir un spectacle de strip-tease, sur un extrait de Platonov de Tchekhov. Elles sont joyeuses, s’entraident, se confient. Elles préparent leurs prestations, seules ou à deux, choisissant leur stripteaseuse comme on trouve son clown. Certaines sont très drôles. Elles se sentent libres, nous laissant libres de les observer sans voyeurisme. Sans crainte, elles se regardent dans les nombreux miroirs qui, dans leur loge, reflètent leurs dessous, orange, roses, rouges, leurs maquillages, leurs accessoires colorés, tout ce qui les rend belles et désirables. Et dans ces pièces, décorées avec soin, éclairées de tons chauds, on parle, on se donne des conseils, on rit. Rien de glauque.
La caméra d’Alexis Kavyrchine semble caresser les corps, superbement éclairés, que les spectateurs présents aimeraient bien approcher. La musique de Pierre Desprats ainsi que les chansons qui ponctuent le film dont celles de Rebeka Warrior participent de cette ambiance. Et malgré l’avertissement d’Elody au début du film, on peut trouver l’amour. Dans l’entrée du club, une reproduction de tableau de Courbet, Le Sommeil ou Les Deux amies, comme un signe. Aurore va tomber amoureuse, pour la première fois, de Mia. Et le film, choral au départ va ainsi nous conter l’histoire initiatique d’une femme, et d’une vie qui prend un autre tournant…
« À mon seul désir est une ode à la liberté (..). Je crois à un monde où les femmes peuvent prendre tous les risques sans être punies pour cela. Je suis pour un féminisme pro-choix, polyphonique, complexe. Je n’ai pas de leçon à donner. L’art est là pour rendre compte de la complexité du réel et pour nous faire nous poser des questions, nous bousculer, et, le cas échéant, nous faire changer d’avis. » Lucie Borleteau.
Sans doute est- ce chose faite…
ANNIE GAVA
À mon seul désir, deLucie Borleteau Sorti en salle le 5 avril
Ce film a été présenté en avant-première le 10 mars au Gyptis en présence de la réalisatrice et de Zita Hanrot. Une rencontre animée par Marie Hermann, éditrice et fondatrice de Hors D’atteinte, maison d’édition féministe.