Les faits sont simples. Alors que la Guerre d’Algérie, qui ne portait pas encore ce nom, s’acheminait clairement vers la fin de la colonisation et l’Indépendance, 30 000 « Français musulmans d’Algérie » se donnent rendez-vous sur les bords de Seine pour défiler silencieusement, contre le couvre-feu que le gouvernement vient de décréter pour eux seuls. La manifestation est interdite, elle avance pacifiquement, la police tire, encercle, nasse, jette à l’eau ceux qui ne savent pas nager et entrave les autres. Torture, mutile, secondée par des harkis appelés pour les faire parler.
Le bilan est inédit dans la répression d’une manifestation en France : 120 morts officiellement, sans doute plus de 200 puisqu’ils n’ont pas été dénombrés. Le plus sidérant étant sans doute la chappe de plomb qui a pesé sur ce crime d’État. Maurice Papon – qui reste à ce jour seul haut fonctionnaire français à avoir été condamné pour crime contre l’humanité pour son rôle actif dans la déportation des juifs durant l’Occupation – déclarait le 18 octobre 1961 « le pire a été évité » et « la bataille de Paris est gagnée ». Les journaux se taisent, Le Figaro parle de deux morts et de « blessés parmi les services d’ordre », Le Parisien parle de « manifestations violentes » où les « commandos » ont pour consigne de charger la police…
Sables mouvants de l’histoire
Il faudra quarante ans pour que les archives s’ouvrent, qu’un travail réel d’historien et de recueil de témoignages puisse avoir lieu, que le rôle des harkis qui suppléaient aussi la police française soit établi.
Pour témoigner de cette histoire Louise Vignaud met en scène un texte qu’elle a coécrit avec Myriam Boudenia, mais qui ne relève pas du théâtre documentaire. Si les deux autrices s’appuient sur des personnages réels, une adolescente noyée et déclarée suicidée, un vieux travailleur algérien, ce sont des histoires qu’elles veulent construire, pour faire éprouver la terreur, la révolte, l’effacement, le silence, les bégaiements de l’histoire. Charonne un an plus tard toujours réprimé par Papon, le sable radioactif du Sahara après les essais nucléaires de 1960, la pluie qui efface les graffitis – « Ici on noie les Algériens » –, le sable qui remonte, parfois, depuis le désert saharien.
AGNÈS FRESCHEL
Nuit d’Octobre
Du 29 octobre au 3 décembre
La Criée, théâtre national de Marseille
Dans le cadre de la programmation du Gymnase hors les murs.