Zébuline. Beaucoup de Marseillais·e·s vous ont découvert avec votre première pièce, Place [Lire ici], dans laquelle vous embrassiez toutes les possibilités du théâtre pour mieux alimenter votre propos. Cette dimension ingénieuse est-elle de nouveau présente avec Taire ?
Tamara Al Saadi. J’aime l’artisanat du théâtre et faire confiance à son ludisme, son pouvoir d’imaginaire qu’il peut offrir. J’aime le coté astucieux des choses. Dans Taire, c’est une production beaucoup plus dotée [financièrement, ndlr], mais j’ai gardé le ludisme du « faire ». Par exemple dans le bruitage ou la construction des images, c’est génial ce qu’on peut fabriquer avec « pas grand chose ». Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’avoir une voiture sur scène parce que j’en aurais les moyens, mais de la raconter de façon ludique et amusante.
Avec Taire les sujets abordés sont difficiles, est-il possible de s’amuser tout de même ?
Je m’empare de réalités graves oui, mais malgré la gravité des sujets que j’aborde, Taire reste un spectacle. Si on veut dire quelque chose aux gens, la moindre des choses c’est de les aimer, donc il faut prendre soin de comment on les dit. Cela passe par l’humour, la musique, la mise à distance que peut produire le théâtre, et l’imagination. J’espère que les gens sortiront de Taire en ayant l’impression qu’on leur a donné quelque chose, et pas qu’on leur a pris.
Le sujet c’est le mal-être chez les adolescents ?
Pas exactement. C’est plutôt l’endroit d’impuissance dans lequel on met les enfants, la manière dont on les réifie. L’étymologie de « enfant » c’est « infans », celui qui ne parle pas. Et le fait de déposséder un enfant de sa trajectoire jusqu’à ce qu’on estime qu’il soit maitre pensant, pour prendre des décisions et sauver l’humanité, je trouve ça très bizarre.
Comme dans vos pièces précédentes, il y a une force politique dans Taire ?
Absolument. Toutes les pièces sont politiques, sinon c’est du divertissement, mais c’est empoigné de façon très claire ici. C’est une réécriture d’Antigone qui fait écho à des réalités politiques contemporaines : la trajectoire d’une enfant placée à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et la réalité de cette crise humanitaire qui a lieu dans l’Hexagone, et qui concerne 400 000 enfants.
Que vous mettez en lien avec les enfants en Palestine.
Oui, la question de la violence coloniale israélienne, et l’oppression faite aux enfants au cours du génocide, est en écho très direct dans ma réécriture d’Antigone. Avec le début du génocide, j’ai voulu abandonner l’idée, je ne m’en sentais pas capable, mais c’est finalement apparu par une autre porte. Je me suis rendue compte que l’invisibilisation des enfants de l’ASE qui sont le plus souvent racisés, issus d’anciens espaces coloniaux, vivent un sort en écho avec l’invisibilisation d’une enfance palestinienne génocidée en direct. Ce sont des réalités encombrantes, à l’origine d’histoires de défiances. On crée une mythologie autour des enfants palestiniens, qui seraient des terroristes en devenir, tout comme les enfants de l’ASE des délinquants en devenir. On développe un imaginaire dans l’esprit des gens qui est de même nature.
NICOLAS SANTUCCI
Taire
Du 29 janvier au 7 février
La Criée, Théâtre national de Marseille
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