La 49e édition du Festival de quatuors du Luberon s’est tenue dans les lieux les plus remarquables du Luberon, à commencer par l’abbaye de Silvacane et son cloître cistercien, accueillant un public plus qu’enthousiaste, pour des programmes alliant certaines audaces avec des valeurs sûres du répertoire.
Le 22 août, le Quatuor Bennewitz interprétait trois compositeurs tchèques, appelant le lourd tribut que le pays a payé à l’histoire. Viktor Ullmann, originaire de Bohème, juif converti étudiant à Vienne auprès de Schönberg puis composant à Prague, a beaucoup écrit avant la guerre puis à Terezin, dans ce camp vitrine où les nazis dissimulaient la Shoah par une pseudo vie culturelle. Son Quatuor n°5 composé en détention avant son départ pour Auschwitz où il fut immédiatement assassiné, comporte quelques passages atonaux au cœur de déchirements romantiques, et désolés. Même si le dernier mouvement veut relever la tête, par une note d’espoir majeur.
Erwin Schulhoff, juif, communiste, homosexuel, a également été tué à Auschwitz. Son Quatuor n°1, composé en 1924, relève cependant d’un autre contexte. Si on y lit des allusions au jazz, en particulier dans l’usage pincé du violoncelle, c’est la fougue qui domine, l’alto virtuose, les effets de timbre, dans une forme plutôt classique. Les solistes du quatuor excellent dans les difficultés rythmiques d’une partition qui, tout à tour, les met en vedette… Dans le Quatuor n°13 de Dvorak, c’est leur sublime cohésion d’ensemble qui émeut. L’adagio, un des sommets de la musique de chambre, a bouleversé une assemblée dont certains n’ont pas retenu leurs larmes, transportés par le génie mélodique de Dvorak sublimé par une interprétation où aucun phrasé, aucune nuance, ne sont laissés au hasard…
Compositrice aussi
Le concert du 24 août, conçu par le Quatuor Varèse, aurait pu pâtir de l’absence de Julie Gehan-Rodriguez, souffrante, et remplacée au pied levé par un Ramus Cornelius Hansen très à l’aise au second violon. Il n’en fut heureusement rien, et ce tout particulièrement sur la pièce la plus imposante du programme, le Quintette pour clarinette et cordes op. 115 de Brahms.
Peut-être car cette pièce, sollicitant la participation du clarinettiste Carjez Gerretsen – se produisant le lendemain dans son ensemble Polygones –, bousculait déjà le quatuor dans ses habitudes ? Lyrique à souhait, mais également porté par une pudeur certaine, l’opus bouleverse tout particulièrement par son sens de l’écoute, entre le clarinettiste et le premier violon de François Galichet, mais également avec les autres musiciens, capables de s’unir notamment sur le troisième mouvement à l’écriture très chorale.
Cette grâce toute mozartienne, dont le quintette sera évoqué en bis, aura parcouru tout le concert. De ce Quatuor opus 10 n°1 comptant parmi ses œuvres les plus matures et sophistiquées à ce très beau Brahms, en passant par le fascinant Strum de Jessie Montgomery. Une pièce évoquant moins l’Amérique d’aujourd’hui qu’une relecture contemporaine de musique folk : cordes pincées, sonorités modales, rythmes invitant tantôt à la danse, tantôt à la rêverie… Une écriture d’aujourd’hui, par une compositrice qui n’a plus besoin, comme Clara Schumann programmée également au festival, d’être cachée derrière un homme.
AGNÈS FRESCHEL ET SUZANNE CANESSA
Au programme
Quatuor Elmire
Beethoven, Webern
le 28 août, 18h30
Abbaye de Silvacane
Quatuor Adelphi
Haydn, Britten, de Lassus, Mendelssohn
le 30 août, 21h
Église de Roussillon
Trio Karénine
Clara et Robert Schumann, Jarrell
le 31 août, 18h30
Abbaye de Silvacane
Quatuor Hernani
R. Schumann, Webern, Brahms
le 1er septembre, 18h30
Abbaye de Silvacane