L’histoire a près de quarante ans : en 1988, Alain Nicolas était nommé conservateur du futur Musée des Arts Africains, Océaniens et Amérindiens (MAAOA), inauguré en 1992 à Marseille. Jusqu’en 2005, le MAAOA a organisé de nombreuses expositions temporaires, notamment Byéri Fang (1992), Batcham, sculptures d’ancêtres en Afrique (1993) et Paysages rêvés, peintres aborigènes australiens de Balgo (2005). Un musée donc, avec une approche artistique qui veut s’éloigner de la seule dimension ethnographique.
La principale collection du MAAOA provient de la donation de Léonce-Pierre Guerre (1911-1978), avocat et critique d’art, composée de 87 masques et sculptures, majoritairement d’Afrique de l’Ouest. Le parcours du collectionneur illustre le contexte colonial de la collecte : dès 1922, Pierre Guerre, alors âgé de douze ans, acquiert sa première statue sénoufo à l’Exposition coloniale de Marseille.

Bruges
D’autres donations enrichissent le fonds : Henri Gastaut (1915-1995) avec 88 objets, principalement d’Océanie, ou encore Marcel Heckenroth (1921-1993), réalisateur ayant collecté des objets lors de ses voyages au Mexique. Ces collections sont complétées par des dépôts de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence, issus des anciens musées coloniaux de la ville.

Mais aujourd’hui l’enjeu de la restitution des œuvres extra-européennes et la critique des musées ethnographiques s’est accentué. Benoît Martin, nouveau directeur du MAAOA, doit relever plusieurs défis, notamment renforcer le dialogue avec les chercheurs et la société civile pour réfléchir à la refondation du musée. L’intérêt pour ces collections s’articule à l’histoire coloniale.
Déconstruire les imaginaires racialistes
La table-ronde du 12 mars 2025 et la visite du 22 mars visaient à réinterroger ces collections. En effet la question de leur mise en (re)circulation est aujourd’hui cruciale. Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain remis en 2018 au président Macron, préconise une restitution massive des œuvres africaines détenues en France, mais son application se heurte encore à différents obstacles à la fois scientifiques, juridiques, politiques et institutionnels.

© X-DR
Claire Bosc Tiessé soulignait le lien avec la colonialité l’influence des musées d’ethnographie : si tous ne visaient pas à justifier le projet colonial, ils ont véhiculé des idéologies racistes et européocentristes. Une cartographie en ligne, « Le Monde en musée » (INHA, 2021), permet aujourd’hui d’identifier les collections concernées. Benoît Martin insistait sur la nécessité d’une polyphonie des récits au sein du MAAOA, notamment en ce qui concerne les objets dont la monstration est désormais exclue, mais présents dans les collections : l’enjeu est bien de déconstruire les imaginaires racialistes entretenus par ces collections pendant plus de deux siècles.
Restitution et recherche de provenance
Le nouveau directeur recommande une approche concertée entre conservateurs, chercheurs et publics pour repenser la présentation des collections, la provenance des objets et leur restitution éventuelle : depuis une vingtaine d’années, les musées européens s’engagent dans la recherche de provenance et dans une réflexion sur les conditions de collecte, et le MAAOA n’y fait pas exception.

muséologue au Bénin © S.C.
Emery Patrick Effiboley, historien de l’art et muséologue au Bénin, voit dans la restitution une opportunité de revitaliser des techniques artisanales perdues. Les réserves des musées européens regorgent d’artefacts, dont beaucoup ne seront jamais exposés. Dans ce contexte, la concentration des collections interroge autant que leur conservation et la restitution constitue une forme de réparation symbolique qui favorise une réintroduction des savoirs locaux.
Vers un musée décolonisé
Ainsi l’historien de l’art se distingue du philosophe Bachir Souleimane Diagne, qui considère que la restitution ne se limite pas à un retour des objets, mais implique une réflexion plus large sur le rôle des musées et le dialogue culturel entre l’Afrique et l’Occident. Une réflexion que repense l’universalisme classique, que les musées ethnographiques proposaient sur le principe de l’inégalité des races.
Ces musées doivent devenir des espaces de dialogue sur le passé colonial et ses blessures. Fondateur des écomusées, Georges-Henri Rivière les considéraient « comme un lieu de libération davantage que de liberté ». Il incarne aujourd’hui une volonté de renouveler le musée et de redéfinir son rapport avec les publics notamment par la médiation. Le MAAOA a désormais l’opportunité de se réinventer en intégrant pleinement les débats contemporains sur la restitution, la décolonisation des collections et la relecture des discours muséographiques. L’implication des publics et des chercheurs sera déterminante pour en faire un musée repensé et ouvert sur le monde.
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