Zebuline. Pourquoi avoir choisi La Cerisaie de Tchekhov ?
Serge Noyelle. Je voulais travailler sur la notion des héritages. C’est un moment dans toutesles familles, riches ou pauvres, où le passé, le présent, l’avenir, tout se règle. Il y a toujours des difficultés, c’est à la fois une tragédie et un moment très particulier. C’est aussi la dernière pièce que Tchekhov écrit, et pour moi l’une des plus fortes. Le personnage est une aristocrate qui a perdu son mari, son enfant, la propriété est en faillite et un jeune moujik (fils de serfdonc), qui a fait fortune, leur propose de vendre la cerisaie pour installer des datchas, c’est-à-dire l’économie du tourisme. Donc c’est vraiment un regard sur un ancien et un nouveau monde qui arrive avec ce moujik. Une pièce assez paradoxale, à la fois la tragédie de la vente de cette propriété et en même temps une comédie, parce que dans chaque réplique il y a des sens et des contresens, des moments d’extrême malheur et des moments très drôles, très cruels, très décalés.
Dans le texte de présentation de la pièce, vous dites qu’il faut voir La Cerisaie à la fois comme une peinture et comme une musique atonale ?
C’est un chant choral. Tous les personnages sont importants. Et chacun de ces personnages a une tonalité différente, ce qui donne ce côté atone, mais dans l’atonalité il y a des variations à l’infini. C’est du Bach au théâtre. Sur le côté pictural, j’ai le souvenir qu’avant on recouvrait les meubles de tissu dans les villégiatures, dans ces maisons qui étaient soit abandonnées, soit propriété grande bourgeoise où on préservait ses meubles. Et pour moi c’est comme un linceul, les meubles représentant le passé, couvert de ces grandes toiles blanches. Puis on se regroupe, on pousse les meubles vers la sortie comme seront poussés les anciens propriétaires pour laisser place aux nouveaux. Et puis il y a cette Charlotta qui vient. Magicienne, qui a un chien qui mange des noisettes, qui fait apparaître des gens, qui les fait disparaître. Il y a quelque chose d’un contrepoint incroyable que j’ai traité effectivement par l’image, l’imaginaire.
Comment est-ce que vous travaillez sur la mise en scène ?
C’est un travail d’équipe avec le noyau dur de la compagnie, et les jeunes acteurs professionnels du groupe 444 et de la compagnie du Théâtre Populo. Donc c’est un panaché d’anciens et de nouveaux acteurs. C’est une horlogerie au millimètre. On essaie de gagner chaque jour millimètre par millimètre. S’approcher au plus profond et au plus près d’un textequi est vertigineux. C’est peut-être l’un des plus beaux textes de théâtre qui puisse exister. Je le dis parce que j’ai pu traverser Becket, Shakespeare, et j’adore ces deux auteurs, mais je découvre l’immensité de l’écriture de Tchekhov.
Il faut dire aussi que c’est une histoire qui nous touche. On a pendant des années tourné en Russie. On a joué à Perm, à Saint-Pétersbourg, Moscou… et on devait monter un opéra à Samara, trois semaines avant le début de la guerre en Ukraine. Donc c’est aussi un texte qui me touche dans le souvenir que j’ai de la Russie, qui est un pays fascinant.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARC VOIRY
La Cerisaie
Du 20 au 22 et du 27 au 29 mars
Théâtre des Calanques, Marseille
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