Le constat est clair : une programmation culturelle enracinée attire un public diversifié, notamment des habitants du Nord de Marseille ! L’ouverture, confiée au peintre Denis Martinez, a été marquée par une performance autour de son œuvre Lalla El Ouchema, accompagnée d’un chant de bienvenue par Nadia Ammour. Un accueil emblématique de la culture d’hospitalité amazighe. La programmation musicale était assurée par l’association Sud Culture, qui organise le festival Tamazgha, avec la troupe Idebalen et l’artiste Akli D, complétées par des projections et des tables rondes.
Signe, stigmate et résistance
L’exposition, orchestrée par Nicolas Misery, directeur des musées de Marseille, présente plus de 275 œuvres, dont des créations inédites comme celles de Denis Martinez et Samta Benyahia. Elle propose un véritable voyage de l’Antiquité à nos jours à travers le tatouage, explorant ses fonctions identitaires, spirituelles et politiques.
Autrefois stigmate social, le tatouage fut perçu comme marque d’infamie. Albert Londres, dans Marseille, Porte du Sud (1927), évoque un « détatoueur » du cours Belsunce qui promettait d’effacer ces marques indélébiles. Au Maghreb, les tatouages traditionnels, liés aux rites de passage, ont aussi été rejetés, jugés dépassés ou parfois trop syncrétiques. Pourtant, ces signes, issus de l’art pariétal et des cultures amazighes, révèlent une continuité graphique, de la pierre à la peau et dessinent une histoire globale du tatouage.
Les portraits photographiques de Lazhar Mansouri (années 1950), montrant des femmes tatouées des Aurès, contrastent avec ceux de Marc Garanger, réalisés dans le contexte colonial en 1960. Chez ce dernier, le regard contraint des femmes algériennes traduit la violence de l’exposition non consentie mais également la résistance silencieuse face au dévoilement forcé.

En écho, Dalila Dalléas-Bouzar, avec sa série Princesses (2015), peint douze femmes algériennes en majesté. Couronnes dorées et tatouages rehaussent ces figures sur fond noir, les dotant d’une force souveraine. Le tatouage y devient outil de réappropriation et symbole de puissance féminine.
Depuis les années 1940, le tatouage inspire les artistes méditerranéens. Samta Benyahia, Farid Belkahia, Ahmed Cherkaoui ou Denis Martinez s’en saisissent comme langage de la mémoire populaire et spirituelle. Ce mouvement s’est en partie, inscrit dans l’élan du collectif Aouchem, né à Alger en 1967, comme réaction à la déculturation coloniale et à l’ambition d’une rupture symbolique avec des mouvements qui assignent et portent le regard du dominant comme l’orientalisme.
La table ronde du 21 mai (18h30), au Miroir (Centre de la Vieille Charité), réunissant les artistes peintres Denis Martinez, Dalila Dalléas-Bouzar, le Commissaire de l’exposition Nicolas Misery et l’historienne Anissa Bouayed, autour de l’art du signe sera l’occasion de revenir sur ces héritages et ses ruptures.
Des réprouvés aux fiertés
En France le tatouage, longtemps réservé aux marges (marins, bagnards, prostituées), s’est largement diffusé aujourd’hui, jusqu’à irriguer, la mode, le cinéma, l’ensemble de la pop culture. Selon une enquête IFOP de 2022, un Français sur cinq est aujourd’hui tatoué, et un tiers des moins de 35 ans.
De la figure de miss Cagole au tatouage « fier d’être marseillais » qui figure sur la communication générale de l’exposition, le message est clair : l’invitation à parcourir l’exposition est large, intergénérationnelle, interculturelle et interdisciplinaire. Le tatouage est devenu un marqueur identitaire et esthétique, notamment chez les femmes, qui s’en emparent comme acte d’affirmation personnelle et de mémoire intime. Une réappropriation bien en phase avec l’époque #MeToo et l’ambition d’une meilleure diffusion de la question du consentement.
Dans les diasporas, il participe souvent à une re-territorialisation culturelle : motifs kabyles, calligraphies arabes, symboles africains ou asiatiques réactivent des filiations culturelles, résistant à l’uniformisation culturelle. De l’héritage ancestral à la revendication individuelle, le tatouage méditerranéen raconte une histoire en mouvement. Il est à la fois trace, langage, et territoire : un corps-palimpseste, qui dit l’intime autant que le politique.
SAMIA CHABANI
Tatouage
Histoires de la Méditerranée
Jusqu’au 28 septembre
Centre de la Vieille Charité, Marseille
Table ronde
L’art du signe, du mouvement Aouchem à l’art contemporain, quels héritages ?
21 mai à 18h30
Performance
El Ouachem
Denis Martinez et Mohand Ichenwiyen (bendir)
23 mai à 17h
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