Pour peu que l’on accepte que César Franck soit comptabilisé parmi les compositeurs nationaux – au grand dam de nos amis belges ! – le programme concocté par le plus célèbre des trios ambitionnait d’explorer le seul répertoire hexagonal. C’est du moins ce que les explications fournies et bienvenues proposées par le violoniste Jean-Marc Phillips-Varjabédian laissent entendre. Mais les promesses n’engagent, bien heureusement, que ceux qui y croient.
La faute à un goût trop prononcé pour le répertoire germanique ? Le patronyme de l’ensemble fondé en 1995 est sans ambiguïté. Emprunté à Schubert, il convoque ce lied éponyme clamant non pas la joie d’arpenter le monde, mais la douleur de s’y découvrir toujours étranger. On ne change pas d’où on vient !
Finesse inouïe
Car peu importe la terre qu’il arpente, le Trio Wanderer se révèle toujours tel qu’en lui-même : d’un indécrottable romantisme allemand, prompt à l’ardeur tourmentée comme à la tendre ironie. Loin de nous, cependant, l’envie de s’en plaindre. En témoigne le silence ému et lacrymal qui accompagne le Tristia de Franz Liszt donné avant l’entracte. Connue de chaque musicien jusqu’au bout des ongles, la pièce adaptée de la Vallée d’Obermann touche, dans sa transcription pour trio, au sublime. Calées sur les graves éraillés d’un piano touffu, sur lesquels l’inimitable Vincent Coq ne saura jamais s’empêcher de chantonner, les lignes dessinées par le violon de Varjabédian et le violoncelle de Raphaël Pidoux s’apposent l’une à l’autre avec une délicatesse rare. La finesse inouïe des traits le dispute à un sens consommé de l’éclat. Les thèmes s’échangent sans faiblir d’un instrument à l’autre, pour un résultat proprement terrassant.
Sur César Franck et son premier Trio concertant – composé à seulement quatorze ans ! – le trio lâche également les chiens : entre chant et cri, tonnerre et éclaircies, le petit précis de fougue se décline au fil de cette forme cyclique dont Franck fut le fer de lance. Sur Camille Saint-Saëns et son Trio n°2, l’ombre de Schumann et de Mendelssohn plane. Elle demeure cependant à juste distance, et le son se fait ici moins rugueux que précédemment. Les deux bis réclamés standing ovation à l’appui, convoquant Lili Boulanger et Dvorak, achèvent d’élargir ces horizons invariablement teintés de méditation et de mélancolie.
SUZANNE CANESSA
Trio Wanderer a joué le 22 octobre au Palais du Pharo, dans le cadre de la saison de Marseille Concerts