Né en 1972 en France, Wilfrid Almendra se partage entre son atelier installé à La Rose à Marseille et Casario (Portugal) où il a créé la Maison Adelaïde. Deux lieux atypiques et deux cultures qui définissent remarquablement l’artiste qu’il est aujourd’hui, initiateur d’un projet fédérateur fondé sur le troc, l’économie alternative, le recyclage, le don, la transmission. À cent mille lieux du discours formaté ou consensuel, son propos repose sur une façon de vivre et de créer héritée de son environnement familial et de ses expériences, de son respect pour le travail de l’artisan et de l’ouvrier auxquels il rend hommage à travers deux installations monumentales au Frac et à la Friche la Belle de Mai. Il investit totalement les espaces en tenant compte des volumes, de la transparence des baies vitrées et des variations de lumière : deux propositions complémentaires où chaque détail, même le plus infime, est remarquable, déclinées autour d’une même grammaire de matériaux et d’objets « qui transpirent une mémoire, une histoire » (gravats, plumes de paon, verre, gants, savates et bonnets usagés, ballon) sur lesquels on ne porte plus notre regard. Objets-sculptures finalement « classiques » par leur effet trompe-l’œil ! Comme s’il s’agissait de réactiver leur passé à travers une mise en abyme artistique.
Face cachée
Deux paysages à traverser entre deux sites qui parlent de gens – amis, artistes, artisans, famille –, de points de vue, de regards sur des éléments de vie (des traces ?) complexes et fragiles à la fois. Une verrière composée de plaques de récupération occulte la baie du Frac donnant sur la terrasse, emprisonne des herbes folles vouées à disparaitre, la mauve ou le chardon, que le temps de l’exposition se chargera de laisser flétrir naturellement… Un champignon sculpté colonise un pylône de béton à la surface floquée, un nid d’abeille s’immisce dans le repli d’une dalle de pierre où quelques figues s’épanouissent au soleil… Un paon géant domine de toute sa puissance argentée un énorme réservoir d’eau usagé, il a bizarrement perdu ses couleurs… Chaque élément tisse une histoire qui en suggère une autre, à savoir celle que nous projetons nous-mêmes sur les choses quotidiennes ou familières. Wilfrid Almendra déplace notre regard en jouant sur la face cachée des choses, en élaborant des paysages évolutifs, réceptifs à la poussière, à la lumière, aux effets du temps. Une notion fondamentale dans la démarche de cet artiste qui « aime l’idée que l’on ne maitrise pas tout ».
Le geste politique d’Ângela Ferreira
Pensé comme un ensemble interactif, Rádio Voz da Liberdade de l’artiste luso-sud africaine Ângela Ferreira explore à travers la sculpture, le dessin mural et le son les liens de solidarité qui ont uni l’Algérie et le Portugal dans les années 70. Enregistrements et archives documentent son dispositif conçu comme les vestiges d’une histoire politique douloureuse commune : le colonialisme et la dictature. Ici, La Voix de l’Algérie et La Voix de la Libération – deux radios sœurs interdites utilisées comme des instruments de lutte contre le fascisme – sont évoquées à travers la construction de deux tours sculptées aux dimensions imposantes, en position volontairement dominante. Sur les cimaises, des photos anciennes reprennent vie une fois transposées en peintures pour lutter contre l’oubli. Née en 1958 au Mozambique, installée au Portugal qu’elle a représenté à la Biennale de Venise en 2007, Ângela Ferreira inscrit une nouvelle fois son œuvre dans le sillage des formes historiques d’activisme artistique.
Le dessin architectural de Ramiro Guerreiro
« Dans l’architecture, le dessin est un dessein. Pour ce projet, au contraire, le dessein est le dessin » écrit l’artiste lisboète Ramiro Guerreiro à propos de son exposition Le Geste de Phyllis. Un postulat qui donne tout son sens à son travail en résonance avec le plateau expérimentations, son architecture accidentée et ses ouvertures. Invité par le Château de Servières dans le cadre de la Saison du dessin, il réalise in situ un dessin matérialisé en aplats et en volumes selon une construction savante, inspirée des expériences modernistes du XXe siècle qu’il interroge, critique, prolonge. À sa manière, en traversant l’espace, s’y projetant, le quadrillant, en dénonçant l’architecture business et la surenchère financière actuelles où l’esthétique n’est plus l’essentiel. Où seuls les plus-values comptent. Discours sous-jacent à la forme – le dessin comme « outil de la pensée » – qui prend appui sur le témoignage de Phyllis Lambert, fondatrice du centre canadien d’architecture, qui s’était élevée contre la spéculation immobilière dans une interview explosive ! Comme Rádio Voz da Liberdade,Le Geste de Phyllis de Ramiro Guerreiro force l’admiration par sa qualité plastique autant que conceptuelle.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Adélaïde, Wilfrid Almendra Jusqu’au 16 octobre, à la Friche la Belle de Mai et jusqu’au 30 octobre au Frac Rádio Voz da Liberdade, Ângela Ferreira Jusqu’au 22 janvier, au Frac Le Geste de Phyllis, Ramiro Guerreiro Jusqu’au 25 septembre, au Frac
À voir également à la Friches la Belle de Mai :
Jaimes, jusqu’au 16 octobre, proposition Triangle-Astérides Murmurations – volet 2, du 3 septembre au 16 octobre, proposition Fraeme frac-provence-alpes-cotedazur.org lafriche.org