C’est en 2019 qu’Adeline Rosenstein installe pour la première fois son Laboratoire Poison à Marseille, à l’invitation des Rencontres à l’échelle. Deux années plus tard, c’est le Festival de Marseille qui accompagne le deuxième volet de la création au long cours de la directrice artistique de la compagnie Maison Ravage. Cette fois, La Criée et le Théâtre du Gymnase s’associent pour co-réaliser et coproduire hors les murs l’aboutissement de cet ambitieux chantier théâtral aux allures de feuilleton documentaire. Une version intégrale de 3h30, en quatre épisodes, accueillie à la Friche la Belle de Mai, que l’autrice et metteuse en scène allemande d’origine suisse a conçu à partir d’impressionnants travaux de recherche.
De la deuxième guerre mondiale aux luttes armées pour la libération nationale et l’indépendance de pays africains colonisés, les quatre opus de Laboratoire Poison passent au crible les actes d’insoumission et de résistance, à différentes périodes de l’histoire contemporaine, par le prisme de leurs inévitables et antagoniques pendants : la collaboration et la trahison. Dans une passionnante et méticuleuse démarche de déconstruction, les pièces successives battent en brèche les discours officiels tendant à l’effacement par l’écriture historiographique de certains faits. Particulièrement ceux en lien avec la répression menée par les puissances coloniales européennes. Ou concernant l’engagement des femmes dans ces mouvements populaires d’émancipation.
Écriture gestuelle
En évitant l’écueil de l’héroïsme spontané et inaltérable de celles et ceux qui par leur engagement ont changé le cours de l’histoire, Adeline Rosenstein décortique la complexité des comportements humains dans les stratégies des mouvements de désobéissance à l’oppresseur. Qu’ils ou elles vivent en Belgique, en Algérie, au Congo en Guinée-Bissau ou au Cap-Vert, ces militantes et militants sont traversés par les mêmes doutes, parfois tentés par les mêmes compromissions. Une œuvre qui, pour Rosenstein, questionne avant tout le présent au regard des difficultés à répétition vécues par une partie des interprètes pour l’obtention de leur visa. « Ce n’est pas sans lien et c’est même directement lié avec la façon dont on a caché la violence de ces années-là. C’est à nous de tricoter un récit qui fasse un gros ménage dans ces mensonges. »
Dans une écriture gestuelle non dépourvue d’humour, pouvant donner à l’œuvre une dimension chorégraphique, Laboratoire Poison refuse le registre de la glorification pour s’approcher d’une réalité saine : l’existence de faiblesses, de fautes, jusque dans les plus purs, les plus beaux et les plus salutaires combats. Il s’agit bien de « percer le théâtre de part en part pour laisser circuler les autres récits ».
LUDOVIC TOMAS
Laboratoire Poison 20 et 21 octobre Le Liberté, scène nationale de Toulon