Initiateur des « randos-philo » dans les vallées de l’Oisans, Simon Parcot lie intimement le mouvement et la pensée. En exergue de ses balades, il cite Nietszche : « Nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent qu’au milieu des livres (…), notre ethos est de penser à l’air libre, marchant, sautant, montant, dansant, de préférence sur les montagnes solitaires ou sur les bords de la mer, là où les chemins se font plus méditatifs ». Principe qu’il met en œuvre avec talent dans son premier roman, Le bord du monde est vertical. « Notre histoire commence dans un nuage » indique l’incipit, le fantastique et la poésie se mêlent d’emblée au récit, nimbant l’observation précise des paysages de montagne et des caractères des personnages des lueurs de l’épopée.
C’est ici que réside la puissance de ce texte : l’écriture empoigne les protagonistes (la Grande, autrement dit, la montagne, comprise) dans les filets soigneusement tissés d’un souffle homérique. Les mots deviennent chair qui s’incarne puisant dans les racines du monde la force des êtres mis en scène. Les pierres elles-mêmes sont les dépositaires des esprits : le « quartz des âmes » a des vertus qui confinent au sacré. Le sujet est dessiné en épure : nous nous trouvons dans la Vallée des glaces, une cordée, deux chiens (Moïra et Zéphyr), une femme (Ysé), trois hommes (Gaspard, Solal et Vik) rejoignent un premier refuge, La Tanière, auberge située dans le village de Notre-Dame-des-Neiges, avant d’affronter la tempête pour atteindre le « Reculoir » et rétablir l’électricité chez un vieil ermite, le Père Salomon qui vit dans le dernier hameau avant le Bord du monde que l’on nomme aussi « la Montagne sans sommet ou plus simplement la Grande ». Ce sommet est un mystère, personne ne l’a jamais aperçu, c’est « une interminable pyramide de pierre qui s’élève jusqu’à ce que son présumé sommet se dilue dans l’espace »…
Évidemment, personne n’a jamais réussi à atteindre ce fameux sommet. L’inaccessible est l’humus de prédilection des légendes et des mythes. Là où les lois rationnelles ne s’appliquent pas, le langage règne sans partage. Les chants naissent déjà dans l’auberge, le plus vieux de la cordée, Vik, boit, « se lève en gardant les yeux fermés, puis fait vibrer l’ensemble de son tronc. Ses membres tremblent, une voix caverneuse sort de ses entrailles (…) Sa gorge expulse des sons qui ont d’abord la forme de cris mais sa diction s’apaise et les mots parviennent aux oreilles, jusqu’à former un chant. » Aède enthousiaste au premier sens du terme (habité par une divinité), Vik esquisse alors les fils d’une cosmogonie nouvelle. La musique que le groupe Popol Vuh avait composée pour le film de Werner Herzog, Aguirre ou la colère de Dieu, accompagnera les dernières étapes de ce roman initiatique et mystique qui est parfois rapproché du livre inachevé de René Daumal, Le mont analogue. Gardons pour la route l’un des aphorismes de Simon Parcot : « par nous l’univers se teste, se déploie et s’essaie. »
MARYVONNE COLOMBANI
Le bord du monde est vertical, Simon Parcot
Le Mot et le Reste, 17 €